« Tout est grand dans le temple de la faveur,
excepté les portes qui sont si basses,
qu’il faut y entrer en rampant »
Duc de LEVIS
Ca n’arrive pas toujours. En un mois, le président de la République n’a été aperçu qu’une seule fois, et de loin, au salon d’honneur de l’aéroport de Khartoum, en provenance de Kampala. La caméra a gardé une distance lointaine, presque fugace, pour nous présenter l’homme qui, pendant 7 ans, a fait chaque jour à la télévision « une apparition, une déclaration ». Les rares nouvelles que nous avons de lui nous parviennent de son « entourage ». Il va très bien, fait du « jogging matinal » en Suisse. Et s’il n’est pas à la salle de gym, il « entretient » son entourage. On va bientôt l’appeler « Abdoulaye Tali », parce qu’il construit trop de routes ! La dernière fois qu’un journaliste a pu lui arracher quelques mots, il a dû batailler avec son fils Karim, l’indexe pointé sur la montre, « nous sommes en retard ». Le président de la République devait retourner en vacances, après s’être déplacé de Genève à Paris, pour rencontrer, tenez-vous bien, un chef rebelle qui refuse de participer aux négociations de paix au Soudan. Cette rencontre s’est tenue à deux stations de métro de chez Krumah Sané, chef rebelle casamançais exilé en France, que Wade refuse systématiquement de rencontrer.
Si le président de la République était employé par une entreprise privée, il aurait été congédié depuis longtemps pour abandon de poste. Le travailleur infatigable qui ne se repose jamais est un mythe. Pendant 7 ans, il s’est plus mis au service de l’Afrique, en médiateur inefficace, qu’au service de son pays. Que ce soit pour le Nepad, pour le Moyen Orient, les relations entre l’Iran et les Etats-Unis, la Côte d’Ivoire, et aujourd’hui le Soudan, nous avons payé des frais d’hôtel, des billets d’avion, des frais de mission pour absolument rien. Il y ajoute, depuis quelques années maintenant, de longues vacances entrecoupées de « disparitions » qui en coûtent au contribuable. Fallait-il louer un Boeing privé pour faire une expédition touristique à Kampala, et retourner tranquillement à Genève, pendant que l’Etat connait des difficultés de trésorerie ? C’est ce qui écœure « les grévistes ». Le chef de l’Etat voyage avec des attachés-cases remplis d’euros, paie tout en cash, pendant que le pays manque de tout.
Les 15 et 17 août, le voyageur infatigable a traversé le ciel sénégalais pour se rendre à Owando, à 600 km de Brazz aville, à l’invitation de ses homologues gabonais et congolais. Mais ce qui fait le plus mal, c’est qu’il associe à ses villégiatures toute sa horde de privilégiés. Il faudrait qu’un jour, les économistes nous disent ce que ces voyages coûtent au contribuable en frais de toute sorte, mais surtout en perte de temps. Pendant deux mois, le pays est bloqué. Une bonne manière de promouvoir le slogan « travailler, toujours travailler, encore travailler », quand on ne fait que voyager, encore voyager, toujours voyager. Du mois de juillet au mois de septembre, la machine étatique est à l’arrêt, comme si les besoins des Sénégalais s’arrêtaient.
Président de la République, c’est une fonction. Il a des dossiers, des notes, des lettres à lire, des décrets à signer. C’est une tâche qui lui est dévolue, et à nul autre. On ne peut pas avoir de telles charges, et prendre deux mois de vacances chaque année, en plus de passer un jour sur quatre à l’étranger. C’est bien du travail, et c’est la raison de tous les privilèges liés à la fonction. Le président de la République est un salarié comme les autres, payé à la fin du mois à la somme de ses heures de travail, soit 8 heures par jour. Il est un employé à temps plein au service de la République, et cette remarque vaut pour ses ministres et ceux qui nous administrent. Ce n’est pas un emploi à temps partiel. Or, depuis quelques années, ils fêtent le dernier Conseil des ministres avant les vacances « gouvernementales » à la manière d’un écolier à la fermeture des classes. Ils sont tous heureux de partir, contents d’abandonner le pays avec ses routes inondées et sa population grognarde.
Nous évoluons avec un illogisme handicapant. L’administration, à commencer par le président de la République, prend ses vacances quand le pays réel, 67% de la population active, commence à travailler. Le Sénégal se veut le fils aîné du colonialisme français. Il prend ses vacances d’été, en oubliant qu’il n’est pas un pays industriel, mais un pays rural, avec une paysannerie qui dépend de l’hivernage. La survie de la grande majorité de la population se joue pendant cette période. Mais le gouvernement pense que son travail s’arrête à distribuer les semences, et après, à s’accaparer des récoltes, en imposant un prix aux paysans, comme faisait le colon. Des régions du pays sont inondées, des populations sinistrées, sans déranger la tranquillité des « vacanciers ».
C’est à peine si, même à l’échelle de l’administration locale, on s’en préoccupe. Les indemnités mensuelles de nos maires sont pourtant passées, en l’espace de 5 ans, de 45 000 francs mensuels à 850 000 francs, soit près de 1000 % de hausse. Mais qui d’entre eux assume les fonctions liées à sa charge ? Le cumul des fonctions en est responsable, comme si on pouvait être maire et ministre, maire et Premier ministre, maire et député, travailler à Thiès ou Fatick et Dakar en même temps.
Mais il y a une bonne part de je-m’en-foutisme. C’est quand un maire comme Idrissa Seck prolonge indéfiniment son séjour parisien, alors que les inondations à Thiès, dues en partie à ses « chantiers », font des centaines de sinistrés. Quand on a voulu l’éjecter de la mairie, nous avons été nombreux à crier à l’injustice, pour de bonnes raisons. Il n’était pas responsable de son incarcération, et sa culpabilité n’avait pas été établie. Même s’il le destine à ses partisans, il reçoit un salaire de ses administrés, alors que depuis 18 mois qu’il est sorti de prison, il n’a mis les pieds à la Mairie qu’une seule fois. Mais c’est valable pour tous les déserteurs de l’administration locale qui cumulent fonctions et salaires, pour déléguer leur travail à un petit employé de la commune. Si la classe politique ne se renouvelle pas, c’est parce qu’il y a des gens qui peuvent être députés, maires, ministres, et parfois dirigent leurs propres entreprises. C’est un pillage légal de ressources sur lequel tous les politiciens, qu’ils soient du pouvoir comme de l’opposition, s’entendent, malheureusement. Ils ne dénonceront jamais les hausses de salaire et les privilèges injustement obtenus. Ils cumulent autant de salaires, autant de logements de fonction, autant de véhicules, tous payés par le contribuable. Le privilège est devenu un mode de vie. Notre conscience collective obéit encore au choc ancestral Garmi-Baadoolo. Les privilèges indus ne suscitent pas la colère, ils suscitent la jalousie. Quand quelqu’un profite, il faut le laisser profiter, au risque de se faire traiter de méchant et de jaloux.
Dans quelques jours, il faudra bien que le président de la République rentre de « vacances », pour faire face au pays réel. Il verra où nous a mené son gouvernement par l’absurde. Des « universités régionales » ouvriront leurs portes, alors que la prestigieuse université de Dakar croule sous le poids de la dette et du déficit. Les enseignants ne reçoivent pas leurs indemnités. A quoi s’ajoute une dette cumulée de deux milliards qui fait que les restaurateurs ne peuvent plus se ravitailler sur le marché local. Tout cela, pour forcer son destin, et passer demain pour celui qui a « créé » plus d’universités que Senghor et Abdou Diouf en 40 ans. Depuis le mois de février, les fournisseurs refusent systématiquement les demandes de l’Etat et des ministères, parce qu’ils ne paient plus. Un ami m’a fait ainsi savoir que les fournisseurs ne travaillent désormais qu’avec l’Anoci, « seule à payer ». Toutes les ressources du pays sont, là aussi, mises au service des ambitions de son fils et de son gigantisme effréné.
Pendant ce temps, le pays réel est à l’abandon. Les prix des denrées de base vont augmenter, et il viendra avec son traitement de choc. Un nouveau gouvernement élargi, de nouveaux locaux, de nouveaux véhicules, et des milliards pour payer les salaires des sénateurs. Le vrai pays ne compte pas. C’est pourquoi tout le monde pense qu’il peut le prendre. Toutes les écuries ont leur cheval de course « à la présidence du Sénat », comme si l’heure de « vacance » était arrivée. Les charges étatiques donnent droit à tant de jouissance que des ambitions présidentielles naissent dans tous les coins du pays.
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