« Il vaut mieux escompter le pire.
Nous n’aurons plus que de bonnes surprises »
Claude AVELINE
Abdoulaye Wade n’en dira sans doute rien et personne ne pourra arracher un seul mot du fond de sa gorge. Mais pour effacer le crime odieux qu’il vient de commettre, l’indifférence ne suffira pas. Pas après s’être fendu d’un communiqué menaçant sur « la corruption » au sommet de l’Etat lors du dernier Conseil des ministres. Ce mot, qu’il prononce par une explosion de gutturales pour rappeler sa filiation coloniale, il doit nous dire quel sens il lui donne. L’accusation est trop grave. Elle vient du Fonds monétaire international et s’adresse aux « Hautes autorités sénégalaises ». Et voilà que les « hautes autorités sénégalaises », après une sortie indignée du porte-parole du gouvernement, s’enferment dans un silence tombal.
Le président de la République sait taire les scandales. Des Etats-Unis, il avait réussi, en une déclaration de candidature, la prouesse de faire oublier le livre d’Abdoulatif Coulibaly. Il a demandé à ses ministres, son entourage, de ne pas se prononcer sur cette affaire dérangeante. « Taisez-vous. Dans trois jours, vous allez voir, on n’en parlera plus », a-t-il juré à tous ses collaborateurs, derrière ses portes capitonnées. Il abuse de cette règle qui veut qu’un scandale en chasse toujours un autre. Mais à force d’inventer des événements pour les faire oublier, l’esprit présidentiel a, semble-t-il, fini par s’embourber dangereusement. Le dernier remaniement nous installe dans une incongruité inouïe. Wade et son fils Karim, Cheikh Tidiane Sy et son fils Thierno Ousmane, Aminata Tall et sa fille Fatim. Voilà la présidence de la République résumée. Abdoulaye Wade nous expose à la moquerie, mais il ne nous fera toutefois pas oublier cet impérieux devoir d’explication sur sa tentative de corruption extravagante.
Si au Sénégal, les journalistes se gardent de donner un nom à celui qui a voulu corrompre Segura, le monde entier lui a donné un visage. C’est le Pinochet de Kébémer qui a tenté ce coup audacieux le vendredi 25 septembre, à la tombée de la nuit. C’était très osé de confier pareille mission à un colonel dont la science se limitait jusqu’ici à la connaissance de quelques espèces arboricoles.
C’est ce sombre illuminé qui s’est chargé de cette délicate mission, s’assurer que le jeune Ségura, 39 ans, a voyagé avec « la preuve », pour ensuite le vilipender dans le monde entier comme un expert corrompu. La corruption s’est retournée contre le corrupteur. Le héros du 19 mars, l’homme qui a fait mentir les lois de la physique politique, un vulgaire corrupteur, qui l’eut cru ?
De sa chaude mélopée du 3 avril 2000, le messie déclarait ne plus « tolérer les pratiques de commissions occultes, de corruption ou de concussion, sous quelque forme que ce soit ». Car Abdoulaye Wade ne s’est pas contenté d’être le praticien de la bonne gouvernance. Il s’est tissé, de surcroît, les lauriers du théoricien sans lesquels il ne serait pas le professeur de vertu qu’il prétend être, « le seul héritier vivant de Kwamé Nkrumah ». Je l’ai vu s’en réclamer, dans un de ces entretiens qu’il ne fait jamais diffuser au Sénégal. L’interviewer, un homme de son âge, ne tarissait pas de « congratulations » à l’endroit du bienfaiteur africain. Il venait de lui présenter un livre gros comme un paquet de sucre sur l’économétrie. Le livre, on s’en rappelle, a été publié en 2007 avec grand bruit. Le professeur Wade soutient dans l’entretien, sans bouger ses sourcils d’un seul millimètre, qu’il l’a publié à Boston, en 1967 ! Son homme de main Djirbil Diallo était là, assis, qui acquiesçait rageusement.
Voilà Abdoulaye Wade, égal à lui-même. Ses sens parlent toujours avant sa raison. Sa présidence, qui commence à être trop longue, n’est qu’une série de brigandages éhontés et de crimes odieux. Dès qu’il essaie de prendre de la hauteur, son esprit tordu le ramène à la bassesse. Nous savions tous que sa gouvernance a été une série d’apostasies malencontreuses. Le démocrate présumé s’est converti à la religion de l’argent sale. Depuis cette reconversion, Dakar est devenu un lieu de pèlerinage des trafiquants en tout genre. Le moindre soutien, comme celui accordé à Ravalomana en 2002, aux rebelles ivoiriens en 2003 et maintenant à Moussa « dédit » Camara, se monnaie à coups de millions de dollars. Mais nous avons beau être sans illusions, nous ne pouvions pas imaginer un tel naufrage. Même ses plus fidèles alliés évoquent ces scandales de fin de règne gênés. Pour discréditer un jeune fonctionnaire international et lui faire payer les misères à lui causées, Abdoulaye Wade ne lésine sur aucun moyen. Nous l’oublions souvent, ce brave Segura, la quarantaine à peine, a reçu deux fois la visite de « cambrioleurs » en trois années de présence au Sénégal. Ces « cambrioleurs s’employaient toujours à « visiter » les rapports compromettants.
Dans tout ce qu’il a fait, Alex Segura a été irréprochable. Les règles éthiques de son institution l’obligeaient à déclarer ce « cadeau », ce qu’il a fait. S’il ne l’avait pas gardé, il n’y aurait jamais eu trace de ce volumineux paquet. Le Comité éthique du FMI recommande, dans ces cas-là, de garder l’objet de la corruption et de le mettre à la disposition de l’institution, ce que Segura a fait. Quand il est arrivé en Espagne, bien avant l’éclatement de cette affaire, le FMI lui a recommandé de remettre à l’ambassadeur du Sénégal en Espagne ce « cadeau monétaire substantiel », ce qu’il a fait.
Il faudrait plutôt remercier ce jeune fonctionnaire, qui nous permet de révéler au monde entier ce qu’est le régime d’Abdoulaye Wade n’a jamais cessé d’être, un régime corrompu. Il y a des scandales qui sont salutaires, celui-ci en est un. Il nous permet de révéler le détail et l’abomination des crimes de ce bandit octogénaire qui se fait passer pour un prophète. Les Sénégalais croulent dans la misère, mais ses caisses sont toujours remplies d’argent. Il s’en était déjà servi pour sauver la somptueuse villa de Djibo Kâ. Quand Landing Savané s’est trouvé dans l’impossibilité de payer les trois millions mensuels que coûtait l’hypothèque de sa vaste résidence de Mermoz, Abdoulaye Wade l’a payé cash. C’est aussi une des raisons pour lesquelles jusques et parmi les grands marabouts, tant de gens s’accommodent de sa bêtise. Il les gratifie du fruit de son butin pour continuer à voler impunément.
Depuis qu’il est au pouvoir, cet homme ne fait qu’appauvrir les pauvres pour enrichir les riches. Son libéralisme se résume à ce libertinage monétaire. Nous avons eu il y a deux ans, dans les mêmes conditions, l’affaire des 14 millions de dollars de Taïwan, qui ont été détournés par Pierre Aïm, sous sa dictée. Le chef de l’Etat avait, sans honte, parlé d’un ami qui lui aurait « offert » 7 milliards de francs Cfa. Un autre français, Jean Pierre Pierre-Bloch, vient de faire bénéficier à son entreprise d’un « prêt » de plusieurs milliards octroyé par le ministère de la Culture. A ce jour, le cousin de Viviane Wade peine à dire ce qu’il en a fait et il ne paiera sans doute jamais cet argent. Sous aucune République, on n’avait vu un tel avilissement.
Nous croyions avoir tout vu avec les révélations sordides qui ont entouré la construction du « monument de la renaissance ». La Justice française est en ce moment-même en train d’enquêter sur une affaire de corruption des « hautes autorités » sénégalaises, lors de la signature d’un marché avec le ministère de l’Intérieur. Il est devenu, par la force des choses, une vraie honte pour son pays et un vrai danger pour l’Afrique. Il ne se passe plus une semaine sans que toute son ignominie se révèle à grands traits. Quand il a juré lors de la signature du MCA, qu’il a changé, nous l’avons pris au mot. Mais c’est à croire que la morale est étrangère à son code génétique.
SJD
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