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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ CHRONIQUE ] Etes-vous Saint-Esprit ?

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[ CHRONIQUE ] Etes-vous Saint-Esprit ?
« Toute société qui prétend assurer aux hommes  
la liberté, doit commencer par leur garantir l’existence » 
Léon BLUM

Il manquait au pouvoir d’Abdoulaye Wade ce trait caractéristique des dictatures moribondes, la comédie d’Etat. La télévision de Babacar Diagne s’y attèle d’une si brillante manière, qu’il n’est pas exclu que le directeur de la Rts ait pour seul dessein de rendre Abdoulaye Wade ridicule. Il trouvait jusqu’ici le moyen de faire descendre son bienfaiteur du ciel. Samedi dernier, ce commis de la propagande a présenté un documentaire au contenu inédit : il a ressuscité de vieilles connaissances d’entre les morts, pour qu’ils viennent faire témoignage du génie d’Abdoulaye Wade. Ont défilé devant sa majesté des personnages aussi distingués que le grand juge Kéba Mbaye, le professeur Saliou Kanji, revenus dire tout le bien qu’ils pensent du président de la République.  
Cet usage postdaté de témoignages était accompagné d’éloges nourris de gens sans doute bien intentionnés. Les uns vantant l’intelligence « exceptionnelle » du locataire de l’avenue Senghor, les autres voyant en lui à la fois un Nkrumah et un Mandela. La plupart de ces témoignages ont été faits en l’an 2000, au début de l’alternance. L’ancien opposant suscitait l’espoir de tout un peuple, prenait tous les engagements sur lesquels il s’est assis aujourd’hui. La lutte contre la corruption, le renforcement des pouvoirs de l’Assemblée, le traitement des citoyens selon leur mérite, tout y passait.  
Abdoulaye Wade est un politicien rusé et il a pu tromper des personnalités très honorables, c’est un fait. S’ils devaient parler aujourd’hui, ces hommes auraient un avis différent sur le président de la République, tellement il a déçu.
Mais pour redonner toute leur actualité à ces récits inédits, il fallait trouver de généreux comédiens. Dans ce rôle, les spécialistes du casting présidentiel ont donné la palme à Djibo Leity Kâ. Nul n’était mieux placé que l’ancien souteneur d’Abdou Diouf pour reconnaître son erreur en l’an 2000 et avouer s’être fait corriger par le bon Dieu. Devant lui, des milliers de sympathisants hystériques, transportés en autocar, acclamaient leur messie. Le cadrage était parfait, pour montrer une foule se déployant le long du Boulevard de la République, avec de vaillants laudateurs qui rivalisaient en superlatifs, Abdoulaye Fofana Seck et Aboulaye Mbaye Pekh. Voltaire a eu tort dans un de ses nombreux Zadig, Abdoulaye Wade n’est jamais las de s’entendre chanter. Il est trop satisfait de ses mérites.
Restait à ces obligés de la télévision nationale un effort supplémentaire auquel ils se sont refusés, se risquer en hélicoptère pour filmer les militants « embedded » et montrer au monde entier de quelles voix Abdoulaye Wade se chauffe. Mais le travail est d’une qualité telle que le président de la République n’entend plus parler de Télé Sopi et Sopi Fm, qui devaient coûter deux milliards de francs au contribuable. Heureux dénouement !
Après une telle démonstration de force, il eut fallu trop d’efforts à Abdoulaye Wade, pour rester lucide. On le croyait revenu à la réalité, il est retourné dans son monde parallèle. A son sentiment de toute puissance s’ajoute maintenant une permissivité que son entourage vit de plus en plus mal. S’il passe ses journées à faire l’apologie de son fils, il n’a plus aucun collaborateur qui ne s’entende traiter au moins une fois dans la journée d’énergumène. Son porte-parole et ministre du Culte raconte à voix basse, le traitement honteux qu’il a subi en présence des journalistes du Groupe Futurs médias. «  bimalay nommé, nenaala nanga yem fumala yemloo… yaangi yax sa affaire kat… ». Le président de la République jurait qu’il ne pouvait accorder plus de 30 minutes d’interview, les journalistes en ont eu pour plus d’une heure, ponctuée de propos humiliants à l’endroit de Bamba Ndiaye. Il a fallu une trentaine de minutes de conciliabules pour que son épouse Viviane l’arrache des griffes des journalistes, qui l’écoutaient débiter toutes sortes de sottises sur son fils. Un de ses visiteurs en est sorti avec la certitude que « quand le président de la République déclare que son fils est plus compétent que n’importe quel sénégalais, je pense maintenant qu’il est sincère. Il le dit avec tellement de conviction qu’il doit être sincère ».  
C’est peut-être vrai. Mais s’il nous faut accepter cette triste vérité, il nous faut alors admettre qu’Abdoulaye Wade a perdu la tête, et que nous sommes dirigés par un vieillard sénile. Son entourage déplace maintenant ses audiences, reporte ses rencontres avec la presse, comme celle qu’il devait tenir avec le Cedeps, et l’audience prévue avec un Groupe de presse, reportée au lendemain. C’est que s’il fait preuve d’un courage physique exceptionnel, le président de la République montre maintenant des signes d’une sénilité évidente, au point qu’il est parfois dangereux de le laisser sortir. Sa famille se sert de toute sorte de subterfuge pour le garder dans ses appartements, le temps que son traitement agisse. Commentaire obligé face à ses disparitions mystérieuses et à ses rencontres reportées : « il est parfois dans un état lamentable et il faut le gérer. » Quand il se sent mieux, Abdoulaye Wade décide de tout, y compris de choses ridicules comme effectuer un voyage de quatorze heures aller-retour, pour voir un film d’une heure. Il peut soumettre ses ministres à une dictée matinale. Ou alors, il lui arrive de dire n’importe quoi, au risque de susciter indignation, sarcasmes et parfois moqueries. Ses nombreux sujets trouvent toujours le moyen de le justifier. Tout le monde s’est maintenant résigné aux nominations quotidiennes de nouveaux ministres conseillers qu’il ne rencontre jamais. Mais plus que tout, c’est la défaillance de sa mémoire immédiate qui trouble ses collaborateurs. Il est arrivé que le chef de l’Etat nie ses propres propos, comme il l’a fait avec Atepa, au lendemain de sa sortie consternante contre l’Eglise. Il avait juré au Cardinal Sarr n’avoir jamais tenu les propos qui lui ont été prêtés. Youssou Ndour vient d’en faire l’amère expérience. Après avoir donné l’engagement ferme à des médiateurs de l’ombre d’accorder la licence de télé au Groupe Futurs médias, le chef de l’Etat s’est ravisé le lendemain, jurant n’avoir jamais fait une telle promesse. « Darra laa leen johul. Tuss », a-t-il assuré, d’un ton ferme.
Le pouvoir administratif s’organise de plus en plus autour d’un monarque sénile et de sa petite famille. La délicatesse de la situation fait que le président de la République n’est plus en tête-à-tête qu’avec lui-même, s’il ne divague pas avec un membre de sa famille.  
La question est de savoir jusqu’à quel point la République est capable de supporter un tel état de fait, sans que ses fondements en soient ébranlés. Ce qui rend ses effets pervers sur le fonctionnement de l’Etat irréparables, c’est que vient se surajouter à cette situation inédite, un trait de caractère propre au président de la République : son obstination dans l’erreur. Il perd ses moyens dès qu’il s’agit de Karim Wade. Jusqu’avant la présidentielle de 2007, il surprenait son monde, en déclarant qu’il cherchait parmi les sénégalais, mais qu’il n’en trouvait pas un digne de lui succéder. Après la présidentielle, est arrivé un génie tout nouveau, son fils. Il avait traité ses opposants d’incapables, quand ils ont perdu la présidentielle. Depuis que son fils s’est fait battre dans son propre bureau de vote, il est le meilleur de tous les Sénégalais. Si Wade continue de dire qu’il ne pense pas à lui pour sa succession, il y ajoute désormais une précision qui mérite l’attention : « pour l’instant. »  
Le fils du président de la République est le premier bénéficiaire de cette situation. Il en tire les privilèges sans assumer les responsabilités qui vont avec, toujours associé au culte du maître. Puisque la situation ira en s’aggravant, elle exige de chacun d’entre nous des responsabilités nouvelles. La première est de nous unir en un front pour la République. A aucun moment de son histoire, notre pays n’aura mérité notre attention autant qu’aujourd'hui. Sur ce point, je ne fais que réprendre ce que mes amis du Pit ont déjà dit avec beaucoup de pertinence. Nous n’avons pas le droit de penser à ce que nous serons individuellement, quand c’est collectivement que nous sommes menacés. Avant de se battre pour être président de la République, faudrait-il déjà qu’un préalable soit réglé, l’existence-même de cette République.  

SJD



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