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Revue de Presse du 12 Novembre 2018 Avec Ahmed Aidara

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Revue de Presse du 12 Novembre 2018 Avec Ahmed Aidara

Revue de Presse du 12 Novembre 2018 Avec Ahmed Aidara



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    En Novembre, 2018 (09:09 AM)
    cheikh Anta Babou : Le nom de Cheikh Ahmadou Bamba est apparu pour la première fois dans les archives coloniales en 1889. C’est à cette époque qu’Ahmadou Bamba commence à s’installer dans son village de Touba - bien connu maintenant - qui est le lieu saint des Mourides. Un administrateur colonial du nom de Tautin qui était en mission dans la zone, avait appris qu’un certain Cheikh Ahmadou Bamba, un marabout, était en train de construire son village dans cette zone. Tautin en a immédiatement eu une lecture stratégique : pour lui, la zone où Ahmadou Bamba était en train de construire son village se situait à la frontière du Baol et du Djolof et n’était pas loin du tout de la frontière de la Gambie. Donc pour lui, ce saint là, ce cheikh, était en train de construire son village dans une zone où plusieurs frontières se superposaient et il lui était facile de s’échapper si jamais il créait des troubles et voulait sortir en dehors du contrôle de l’administration coloniale. C’est la lecture qu’il en avait eu en 1889, le premier contact.







    Après cela, rien de particulier ne s’est passé jusqu’en 1892. Cette année-là se produisent les premiers incidents entre les mourides et l’administration coloniale. Ce sont des incidents qui ont opposé des chefs musulmans noirs africains qui travaillaient avec l’administration coloniale dans le Nord-Cayor, dans la zone du Ndjambour. Ces chefs là se plaignaient à l’administration coloniale du fait que les mourides, disaient-ils, refusaient de se subordonner à eux… que les mourides mettaient leurs cheikhs et leurs dirigeants au-dessus des chefs qui représentent l’administration coloniale… ils les accusaient de ne pas payer leur impôt alors qu’ils donnaient la Hadiya à leur cheikh. D’une certaine manière, ils commençaient à se plaindre du fait qu’il y avait une certaine opposition mouride qui se développait dans leur zone, dans leur fief. Et ce sont donc ces premiers rapports-là qui ont été à l’origine des tensions entre l’administration coloniale et les mourides… Ahmadou Bamba en particulier.







    Entre 1892 et 1893, il y a eu un échange de lettres entre Cheikh Ahmadou Bamba et le gouverneur Lamothe… Ahmadou Bamba aurait même voyagé en ce temps-là à Saint-Louis -il se rendait en Mauritanie mais s’est arrêté à Saint-Louis- et je présume qu’il a certainement eu des entretiens avec le gouverneur parce que, par la suite, nous avons appris qu’il a reçu des livres que le gouverneur lui a envoyés. Dans mes propres recherches, j’ai découvert que Lamothe lui-même lui avait envoyé un ballot de tissus en 1895, avant son arrestation. Donc d’une certaine manière entre 1892 et 1893, il y a eu des tensions mais ces tensions se sont estompées pour revenir en 1895.







    RFI : Qu’est-ce qui fait que ces tensions reviennent en 1895 ?







    Cheikh Anta Babou : En 1895, de nouvelles accusations se sont développées, mais cette fois-ci plus graves, venant également de la zone du Djolof et du Nord Cayor. Là-bas aussi, ce sont des chefs africains qui ont informé l’administration coloniale que Ahmadou Bamba était en fait en train de préparer un « djihad de l’épée », qu’il avait acheté des fusils et qu’ils avaient vu des chameaux chargés de fusils qui allaient vers son village de Ndam (Darou marnane)… Ils disaient également qu’il avait commandé beaucoup de mil et que des pileuses étaient mobilisées pour le piler et préparer le couscous qui serait utilisé comme provision de guerre, parce qu’Ahmadou Bamba n’attendait que la fin de la saison des pluies pour commencer « le Djihad de l’épée ». Ils disaient enfin qu’il allait déclencher ce djihad en collaboration avec certains chefs africains comme le chef du Djolof qui avait été nommé par l’administration coloniale mais qui n’était pas très heureux dans son royaume du Djolof.







    C’est cela qui a déclenché l’enquête. L’administrateur Leclerc a été mandaté par l’administrateur colonial pour examiner ces accusations, voir si effectivement Ahmadou Bamba se préparait à un djihad. Martial Merlin, qui était également le chef du bureau politique, était impliqué et c’est comme ça que les enquêtes ont commencé.







    RFI : Est-ce que ces accusations étaient fondées ?







    Cheikh Anta Babou : Pas du tout. Ahmadou Bamba a toujours déclaré qu’il n’était pas intéressé par le djihad de l’épée, que son djihad était le « grand djihad », c’est-à-dire le djihad des Soufis, le djihad nafs ou le Djihad contre l’âme charnelle. Il a toujours dit et déclaré dans ses écrits, comme dans ses prêches publics que pour lui, le djihadiste n’est pas celui qui tue les hommes, qui verse leur sang mais celui qui fait face à ses faiblesses internes, les faiblesses de son âme pour les dominer. C’est celui qui lutte contre Satan, une lutte quotidienne… Et ça c’est très connu dans la littérature soufie. Les soufis aiment citer ce hadith du prophète Mohamed, la tradition du prophète Mohamed où il disait, venant d’une guerre, « nous avons quitté le petit djihad, maintenant préparons-nous pour le grand Djihad ». Et quand ses compagnons lui ont dit « mais qu’est-ce que le grand djihad, puisque nous venons d’une bataille où des gens ont été tués et ont tué », il leur a dit que « le grand Djihad c’est le Djihad contre l’ennemi immortel qui est toujours en nous et qu’on ne peut pas défaire c'est-à-dire Satan. »







    C’est cette tradition-là qu’Ahmadou Bamba poursuivait, c’est pourquoi il s’est toujours défendu d’être intéressé par les armes ou bien même par le contrôle politique des hommes. Ces accusations étaient évidemment infondées et nous savons très bien que ceux qui les avaient portées avaient des intérêts politiques pour le faire. Ces chefs africains étaient un peu inquiets de l’influence des mourides dans le monde rural, ils pensaient que le prestige des cheikhs mourides allait un peu éclipser leur propre prestige et que finalement les mourides devenaient les chefs réels de la population dans les zones rurales.







    En ce qui concerne l’administration française, Leclerc comme Martial Merlin avaient intérêt à ce qu’Ahmadou Bamba soit contrôlé. Leclerc était lui-même impliqué dans les problèmes de 1892 dont j’ai parlé tout à l’heure… et dans le rapport qu’il fera, le premier paragraphe reviendra sur les évènements de 1892. Il dira au gouverneur (en substance) « Ahmadou Bamba nous a échappés en 1892 en protestant de ses bonnes intentions mais en réalité comme tous les chefs musulmans c’est un djihadiste et cette fois-ci il ne faut pas qu’il nous échappe, il faut qu’on s’empare de lui et qu’on règle son problème définitivement ».







    Martial Merlin avait également intérêt à ce qu’on arrête Ahmadou Bamba. Merlin était le chef du bureau politique, c’était lui qui était responsable de la formation des chefs africains, donc lui aussi avait intérêt à ce qu’Ahmadou Bamba -qui devenait de plus en plus une figure influente au Sénégal, particulièrement dans le Cayor et le Baol- soit contrôlé, parce que son influence, s’il n’était pas arrêté, ferait ombrage à l’administration africaine que Martial Merlin était chargé de former. Ces deux groupes-là avaient donc intérêt à ce qu’Ahmadou Bamba soit arrêté avant qu’il ne soit incontrôlable.







    RFI : Quelles vont être les suites du rapport des enquêteurs français ?







    Cheikh Anta Babou : Ce qui se passe ensuite c’est que Leclerc, qui était administrateur au niveau de Saint-Louis et qui était chargé du cas Ahmadou Bamba, a écrit un rapport, un long rapport sur Ahmadou Bamba. Après ce rapport, l’administration a jugé nécessaire de l’arrêter. Ahmadou Bamba n’a pas résisté. Il y a eu des va-et-vient, il a envoyé son frère Ibra Faty voir le gouverneur pour lui expliquer ses intentions, qu’il n’était nullement motivé par le djihad etc. mais l’administration coloniale n’a rien voulu comprendre. Ahmadou Bamba a donc été arrêté dans un village qui s’appelle Djewol, dans le Djolof. On l’a emmené à Louga et de Louga il a pris le train, il est allé à Saint-Louis. Une fois arrivé à Saint-Louis, il a été incarcéré dans un cachot sous le bâtiment de la gouvernance. D’ailleurs, le bâtiment est toujours là-bas… du moins c’est l’endroit où les gens présument que se trouvait la prison de Bamba. Et enfin, après une vingtaine de jours, il a été entendu. Maintenant ce que nous savons de ce qui s’est passé, c’est le rapport que Merlin a écrit pour rendre compte du procès. Ce qu’Ahmadou Bamba a dit, la connaissance que nous en avons, nous vient de la tradition orale.







    Ce que la tradition orale nous dit, c’est que Bamba, une fois qu’il a été accueilli dans la salle de conférence du gouverneur pour être entendu, lui a dit : « Moi je ne fais pas le djihad ». Il a d’abord récité la fatiha, qui est la sourate ouvrante du Coran. Il a dit au gouverneur général « Amenez mes accusateurs pour qu’ils prouvent qu’effectivement je prépare le djihad de l’épée. » Le gouverneur lui a posé des questions, il a refusé de répondre, il a continué à lui dire « je ne peux pas vous répondre parce qu’il y a des gens qui m’ont accusé, je vous demande d’amener ces gens ici pour qu’ils prouvent que je suis en train de préparer le djihad de l’épée… »







    La tradition orale nous dit également qu’Ahmadou Bamba a fait une prière de deux rakkas, deux génuflexions. C’est une prière traditionnelle que les gens font en Islam lorsqu’ils sont dans une situation de danger, c’est une prière abrégée. Certains ont dit qu’Ahmadou Bamba avait fait cette prière-là dans le bureau du gouverneur. Personnellement, en tant qu’historien, je n’en suis pas sûr. Je pencherais même du côté de ceux qui disent qu’il n’a pas pu le faire parce que si cela avait pu ressembler à un acte de provocation, Ahmadou Bamba ne l’aurait pas fait. Il n’avait pas du tout l’intention de provoquer l’administration coloniale. Mais dans tous les cas cette prière des deux rakkas est devenue une sorte de pèlerinage à Saint-Louis et chaque année ce pèlerinage-là est célébré.







    RFI : Et donc il est condamné ?







    Cheikh Anta Babou : Oui. Ahmadou Bamba est condamné à la déportation en Afrique Equatoriale Française, c’est ce que Leclerc avait demandé, c’est ce que Merlin également avait demandé, c’est ce que les jurés d’Ahmadou Bamba ont confirmé.







    RFI : Vous diriez qu’il y avait une intention de neutraliser Cheikh Ahmadou Bamba ?







    Cheikh Anta Babou : Absolument. Je dirais qu’il y avait une intention manifeste de neutraliser Cheikh Ahmadou Bamba… et je dirais que Leclerc et Martial Merlin sont au centre des intrigues qui ont été développées pour s’assurer que le Sénégal soit débarrassé d’Ahmadou Bamba.







    En 1895 quand Ahmadou Bamba a été arrêté, il n’a pas été déféré au conseil général où siégeaient des chefs africains qui étaient plus démocratique, des chefs métis, des citoyens sénégalais qui étaient plus démocratiques et où la plupart du temps ils amenaient les grandes questions politiques… mais on l’a amené au conseil privé, qui est un conseil aux côtés du gouverneur et qui était composé exclusivement de fonctionnaires coloniaux. Et ce qui est encore intéressant, c’est que l’on a arrêté, jugé, condamné et déporté Ahmadou Bamba en un court laps de temps pendant la saison des pluies… et ceux qui comprennent l’écologie de l’Afrique et du monde colonial savent que pendant la saison des pluies, les grands chefs retournent en France pour échapper aux moustiques, à la pestilence et aux maladies. Parmi les dix qui ont siégé lors du jugement d’Ahmadou Bamba, sept étaient des intérimaires. Vous voyez ce que je veux dire ? Ce ne sont pas les titulaires des postes qui ont siégés mais ce sont des intérimaires. Et le gouverneur qui présidait la réunion, Mouttet, était lui-même un intérimaire parce que Lamothe était parti et Chaudié, celui qui devait le remplacer, n’était pas encore arrivé.







    Donc on peut dire que l’administration coloniale, d’une certaine façon, et peut-être Leclerc et Martial Merlin ont profité d’un moment de vide au niveau de l’administration coloniale pour arrêter Ahmadou Bamba, le juger et le déporter. Parce que pendant toute cette période-là d’arrestation en août et de déportation en septembre, il n’y avait pratiquement pas d’administration titulaire au Sénégal, il n’y avait que des intérimaires.







    RFI : Comment s’est déroulé le départ de Cheikh Ahmadou Bamba du Sénégal ?







    Cheikh Anta Babou : De Saint-Louis on l’a amené à Dakar, de Dakar, il a pris un bateau de ligne qui venait du Brésil. Il dit par exemple qu’on l’a emmené de Dakar à Conakry et il dit que c’est à Conakry qu’il a appris qu’il allait au Gabon, parce que l’administration coloniale ne l’avait pas informé de la destination de sa déportation. Ensuite je crois qu’il est passé au Dahomey, il est passé au Cameroun, etc et finalement il est donc arrivé au Gabon.







    RFI : Sait-on dans quelles conditions il était dans le bateau ?







    Cheikh Anta Babou : C’est très intéressant, parce qu’Ahmadou Bamba lui-même en parle. Il dit que lorsqu’il est allé dans le bateau, il était dans une cabine normale, il n’y avait pas de problèmes… mais une fois que le commandant du bateau a lu une lettre se rapportant à son cas, son attitude a complètement changé. On l’a sorti de cette cabine-là -qu’il préférait- et on l’a mis dans la foule. Il avait énormément de difficultés pour trouver de l’eau et pour aller aux toilettes etc. et il y avait beaucoup de gens dans le bateau qui lui étaient hostiles.







    Mais Cheikh Ahmadou Bamba raconte que, finalement, avant qu’il n’arrive au Gabon, l’opinion du commandant avait changé et que l’opinion de beaucoup de gens dans le bateau avait changé. Finalement, les gens lui ont dit qu’il avait été victime d’une injustice. Il a particulièrement apprécié le rôle du docteur dans le bateau et le rôle d’un jeune Français, dont il dit que « ce jeune chrétien-là se comportait envers moi comme un disciple mouride ».







    RFI : Une dernière question, Cheikh Anta Babou, comment est-ce que vous avez pu écrire l’histoire de Cheikh Ahmadou Bamba, quelles sont les sources que vous avez pu utiliser ?







    Cheikh Anta Babou : J’ai vraiment utilisé toutes les sources qui étaient à ma disposition, y compris les archives coloniales et les écrits de mes autres collègues chercheurs qui travaillent sur le mouridisme depuis les années 70 avec Cruise O’Brien, mais avant lui il y avait le travail de Paul Marty de l’administration coloniale, donc j’ai fait la revue de toutes ces sources-là.







    Mais je pense que là où j’ai pu faire une différence c’est vraiment avec l’exploitation des sources internes mourides. Parmi ces sources internes mourides, j’inclus les écrits d’Ahmadou Bamba lui-même, mais également la tradition orale mouride et les écrits des cheikhs mourides. Voici un trésor sur le savoir du mouridisme qui a été négligé par les chercheurs qui m’ont devancé sur le terrain… et qui m’a beaucoup aidé à renouveler la problématique sur l’histoire de la Mouridiya.



    Nouvelle étape, donc : Ndjolé, à 225 km de Libreville. La route est impeccable. Cheikh Ahmadou Bamba, lui, a parcouru le trajet Lambaréné – Ndjolé par bateau. Ici, les colons ont érigé un monument à la mémoire de Cheikh Amadou Bamba mais aussi de Samory Touré, un résistant de la Guinée Conakry déporté au Gabon. Très vieux, Samory Touré mourut sur une île qui porte aujourd’hui son nom. Cheikh Ahmadou Bamba et Samory Touré se sont rencontrés une fois au tribunal de Ndjolé.







    « Là où nous nous trouvons, ce bâtiment abandonné, c’est l’ancien tribunal militaire où les colons jugeaient leurs détenus comme Samory Touré ou Cheikh Ahmadou Bamba, explique Cheikh Mbengue. Bamba est venu répondre à sa convocation ici à Ndjolé ». Le colon qui avait porté plainte ne se présente pas. Bamba est acquitté.







    Cheikh Ahmadou Bamba est donc ramené à Lambaréné. Puis à Libreville. Il est autorisé à revenir au Sénégal en 1902. Selon l’historien Cheikh Anta Babou, il est très probablement rapatrié grâce à l’intervention du député Carpot, un métis Saint-Louisien, élu au parlement français la même année.







    Le fauteuil de député du Sénégal à l'Assemblée Nationale avait été monopolisé pendant longtemps par des Français de souche. Carpot n'a pu être élu que grâce a une large coalition entre métis et citoyens noirs sénégalais… et selon l’historien, il a bénéficié d'un soutien financier important de chefs religieux mourides. Il semble s’être impliqué, en contrepartie dans le retour de Bamba au Sénégal. Ce qui lui vaudra les critiques de certains a liguénedi di wakh si bamba akh li ame bokoule bamba mesoulawakh toubapbi déte bayiléne féneyi bamba dagnouko gnanale mou gnibi senegal meneloulewone dara bopame 7ans dou béne bise bou menone tou toke fofou 7 ans té mesoule djiouli si bire guéthe dou degueu  :sunugaal: 
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