"Monsieur Serubuga ? Le vieil homme aux fines lunettes et à la petite
moustache recule d'un pas, décontenancé, au milieu d'une rue détrempée
de la périphérie de Cambrai (Nord). Il lui faut quelques secondes pour
prendre la parole.
- Non, répond-il, sans conviction, lèvres tremblantes, en inspectant d'un regard affolé les alentours.
- Je sais que vous êtes monsieur Serubuga, et j'aimerais vous parler du Rwanda, du génocide, en 1994. Je suis journaliste.
-
Que me voulez-vous ? Pour qui travaillez-vous ? Je ne parlerai qu'en
présence de mon avocat, Me Massis. Partez !", dit l'homme aux cheveux
blancs en poursuivant son chemin de sa démarche pataude. Il tourne la
tête, tend sa main gantée comme pour nous repousser, cherche à fuir de
son pas lent dans la lumière froide de la fin d'après-midi de ce lundi
27 janvier jusqu'à se fondre parmi les quelques passants. Silhouette
parmi d'autres silhouettes.
Pourtant, ce vieil homme d'allure
banale, chaussures de chantier usées, parka et bonnet, vient de loin. Il
a connu l'un des plus grands drames de la deuxième moitié du XXe
siècle.
Le chef de l'armée rwandaise
En France, son nom
n'évoque rien. Mais à 6 000 km de là, dans un petit pays vert au cœur de
l'Afrique, il a été une haute personnalité. Au Rwanda, où il est né en
1939, à Giciye (nord), il n'est pas Laurent Serubuga, mais le colonel
Serubuga.
Le colonel appartient au cercle des "camarades du 5
juillet", un groupe de onze officiers qui porte au pouvoir Juvénal
Habyarimana en 1973. Après ce coup d'Etat, le colonel Serubuga occupe
parmi les plus hautes fonctions du nouveau régime. A l'orée des années
1990, il est chef d'état-major adjoint des Forces armées rwandaises
(FAR). En clair, il dirige l'armée après le président.
Membre présumé d'un groupe occulte
Dans
l'ombre, il est peut-être encore plus puissant. On lui prête d'être un
membre de l'Akazu. En kinyarwanda, la langue officielle du Rwanda,
"akazu" signifie "petite maison", et désigne un groupe occulte de
proches de la famille du président Habyarimana. "Ils constituent non
seulement un réseau de pouvoir parallèle dans l'armée, le parti et
l'administration, mais aussi un groupe parasite du système économique et
financier du pays", écrit la mission d'information sur le Rwanda de
l'Assemblée nationale française en 1998. Parmi cette petite élite,
Laurent Serubuga est l'"un des akazu les plus puissants", affirme une
commission d'enquête parlementaire du Sénat belge, en 1997.
Laurent
Serubuga est un homme très puissant et redouté, mais en juin 1992, il
se retrouve subitement mis à la retraite par un gouvernement de
coalition. Trop "incompétent", affirme le témoin et expert du Tribunal
pénal international pour le Rwanda (TPIR), Jean-François Dupaquier,
contacté par francetv info. Pour l'historienne Alison Des Forges (1),
Laurent Serubuga devait son poste à l'Akazu plus qu'à ses "virtuelles
compétences militaires".
Il s'évanouit dans la nature après le génocide
Quand
le génocide des Tutsis (800 000 morts, selon l'ONU) éclate en avril
1994, le colonel Serubuga est officiellement hors-jeu. Au Rwanda, on
retrouve peu de documents de cette période. Mais parmi eux se trouve
celui-ci : un message du ministère de la Défense daté du 30 avril, que
s'est procuré francetv info. En plein génocide, il propose à Laurent
Serubuga et d'autres officiers, "s'ils veulent et se sentent aptes",
leur remobilisation.
Extrait d'une copie du message envoyé par le
ministère de la Défense rwandais, le 30 avril 1994, à plusieurs
officiers, dont le colonel Serubuga, en vue de leur remobilisation.
(FRANCETV INFO)
Deux jours plus tard, le 2 mai, il reprend du service dans une période où se multiplient les massacres à Gisenyi, où il réside.
Quel
rôle joue alors cette haute personnalité hutue pendant les trois mois
que dure la tragédie ? Sa trace se perd dans la débâcle de juillet 1994.
Quand les troupes du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame
prennent la capitale, Laurent Serubuga s'est évaporé.
Où se
cache-t-il ? A-t-il profité de l'opération française Turquoise pour
franchir la frontière avec le Zaïre, comme de nombreux génocidaires ?
C'est là qu'un journaliste français retrouve un proche de Laurent
Serubuga, le colonel Théoneste Bagosora. Considéré comme l'architecte du
génocide, il a été condamné par le Tribunal pénal international pour le
Rwanda et se trouve aujourd'hui en prison.
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2 Commentaires
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En Février, 2014 (00:17 AM)Yatt
En Février, 2014 (10:06 AM)Il n'y aura pas de Justice tant que les hommes qui ont animé les gouvernements de ses deux pays n'auront pas répondu des crimes qu'ils ont commandités.
D'ailleurs, ces autochtones de service devraient être jugés dans leurs pays où ils ont commis leurs abominations : ils doivent être punis à la hauteur de leurs crimes atroces .
Les hutus rwandais avant-hier, les officiers maghrébins hier (Tunisie, Egypte) et les "rebelles" syriens aujourd'hui tous instrumentalisés pour "désosser" leurs pays au profit des intérêts occidentaux.
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