Mohamed Ould Tolba, ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères et de la Coopération de 2002 à 2003, aujourd’hui « chef économiste agricole » de la Banque africaine de développement, la BAD, explique que les pays disposant de ressources agricoles devraient les transformer sur place en Afrique avant de les exporter. Le développement de l’agriculture reste un enjeu majeur pour le continent, y compris pour l’atteinte des Objectifs du développement durable, les ODD. Entretien.
Comment expliquer le manque de transformation des matières premières agricoles sur place en Afrique ?
Plusieurs contraintes ont pesé. L’approvisionnement énergétique insuffisant limite les possibilités de stockage et de transformation. Le manque de routes bitumées et de réseau de chemin de fer entrave l’acheminement des produits agricoles des zones de productions vers les marchés et occasionne de grosses pertes après récolte. Au Cameroun, 40% de la production annuelle de banane plantain est perdue faute de routes… Mais les choses commencent à changer. La Côte d’Ivoire s’oriente résolument dans ce sens pour la cacao. Il existe aujourd’hui 14 broyeurs de fèves dans le pays, assurant un premier niveau de transformation de 33% de la production nationale. Le gouvernement a pour objectif de porter ce niveau de transformation à 50% en 2020. A terme, toute la production nationale pourrait subir une première transformation sur place. De même, les 180 000 tonnes d’huile d’olive produites annuellement en Tunisie subissent une première transformation sur place. Le pays compte se lancer dans le conditionnement pour augmenter sa part de marché. Aujourd’hui, moins de 10% de la production nationale est conditionnée sur place.
En quoi le développement agricole est-il crucial pour l’atteinte des Objectifs du développement durable, les ODD ?
Les ODD 1 et 2 visent à éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et la faim, et concernent en premier lieu les populations rurales. Les deux tiers de la population des pays les moins avancés (PMA) vivent dans les zones rurales, où la pauvreté est deux fois plus importante que dans les villes. L’ODD 6, quant à lui, vise à garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement rural et assurer une gestion durable des ressources en eau. Au sud du Sahara, pas moins de 319 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 695 millions à l’assainissement. Là encore, une grande partie de ces populations vit en milieu rural. Il faudra donc une forte orientation vers le développement rural dans les stratégies nationales pour la réalisation des ODD. D’autant que les populations rurales peuvent jouer un rôle plus important dans la création de richesse et la croissance, particulièrement dans les pays d’Afrique subsaharienne où la part de l’agriculture dans le PIB reste importante : 15,6% pour le Sénégal, 19% au Cameroun, 32,5% au Rwanda, 28,1% à Madagascar et 50% au Tchad.
L’accès des produits africains aux marchés internationaux, notamment européens, est-il satisfaisant ?
Souvent exigeantes en termes de qualité et de sécurité sanitaire, les normes européennes représentent une donnée fondamentale d’un marché sur lequel les producteurs ne peuvent avoir aucune influence. Il faut s’y adapter, ce que font plusieurs pays d’Afrique en exportant des produits agricoles vers l’Europe. Par exemple, le Kenya et l’Ethiopie sont devenus en dix ans des exportateurs majeurs de produits horticoles vers l’Europe. Ces résultats ont pu être obtenus grâce à un secteur privé dynamique, appuyé par des politiques gouvernementales adéquates. Ils prouvent que les agriculteurs africains ont la compétence nécessaire pour adapter leurs produits à la demande, même sur un marché exigeant.
La sécurité alimentaire progresse-t-elle en Afrique où une transition démographique est en cours ?
Cette question est fondamentale pour le continent qui souffre le plus de la malnutrition, avec 232 millions de sous-alimentés, soit environ 20% de la population contre 12,1% pour l’Asie et seulement 5,5% pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Pour l’Afrique, la facture des importations nettes de produits alimentaires s’est élevée à 35,4 milliards de dollars en 2015, portant surtout sur une quinzaine de chaînes alimentaires, dont 5 produits de base : blé, sucre, riz, viande de bovin et soja. L’Afrique dispose pourtant d’un immense potentiel de production agricole avec 60% des terres arables inexploitées dans le monde. Les efforts entrepris pour assurer la sécurité alimentaire du continent ne sont manifestement pas suffisants.
Les changements climatiques ont-ils un impact connu et mesuré sur la production agricole africaine ?
Ils auront des effets certains de raréfaction de l’eau – déjà rare en Afrique du Nord - ainsi que de dégradation des terres et des écosystèmes avec les conséquences que l’on peut imaginer sur les rendements et la production. Les risques de sécheresse et d’inondations seront accrus au sud du Sahara. D’après la Banque mondiale, une augmentation de 1,5 à 2 degrés Celsius entraînera une aridité qui pourrait rendre, si rien n’est fait, entre 40% et 80% des terres agricoles impropres à la culture du maïs, du millet et du sorgho à l’horizon 2030-2040. D’où les programmes régionaux d’appui des pays du Sahel et de la Corne de l’Afrique mis en place par la BAD pour la filière de l’élevage.
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