Tout en annonçant son report, le président de la Commission électorale a tenté de rassurer l'opinion. Il a assuré que celui-ci n'était pas de nature à « compromettre l'élan démocratique » dans lequel le pays est selon lui « engagé ». « Nous avons bel et bien entamé le dernier virage » vers les élections, a promis Corneille Naanga. Pourtant, ce report ouvre une nouvelle période d'incertitude. Car s'il était prévisible, sa durée, « courte » aux yeux des défis qu'il reste à relever, laisse beaucoup d'observateurs sceptiques.
Sept jours suffiront-ils pour rattraper les retards accumulés par la Commission électorale dans sa préparation des élections ? Beaucoup se posent désormais la question à Kinshasa. « Oui », assure le président de cette Commission, Corneille Naanga.
Les difficultés d'acheminement du matériel peuvent-elles être réglées en une semaine ?
Hier jeudi, au cours de sa conférence de presse, il a entièrement imputé ce report à l'incendie qui a ravagé la semaine dernière un entrepôt de la Commission électorale dans la capitale, assurant que ce « cas de force majeur », mis à part l'élection, aurait pu se tenir ce dimanche comme prévu dans le reste du pays.
Mais des informations qui remontent de l'intérieur via des observateurs sur l'état réel du déploiement du matériel électoral laissent perplexe : absence de kits par endroits pour former les responsables des bureaux de vote, absence aussi de clés USB pour configurer certaines machines à voter, sans oublier dans certains provinces des convois de matériel bloqués sur les routes, ou encore selon plusieurs rapporte du matériel déclaré arrivé à bon port mais qui en réalité ne l'est pas...
« Dans ce contexte, sept jours c'est trop peu », « irréaliste », estime un observateur. « C'est le capharnaüm », confie même une source au sein du gouvernement... qui ne cache pas son scepticisme. Tout en expliquant qu'un report plus long aurait risqué de « rouvrir le débat sur la légitimité des institutions ». Une légitimité qui ne tient qu'à un accord arraché aux forceps il y a deux ans, et qui prévoyait une élection avant la fin du mois de décembre 2017.
« Une semaine ne changera rien à cette situation. Nous allons vers des élections bâclées », réagit de son côté Fred Bauma, l'un des fondateurs du mouvement citoyen Lucha. « Il est plus que temps qu'on arrête de se moquer de la peuple congolais », estime-t-il.
L'épidémie Ebola et l'insécurité également invoquées
Le président de la Céni a évoqué aussi l'épidémie d'Ebola ou l'insécurité dans l'est du pays pour justifier le report du scrutin. « L’épidémie à virus Ebola qui sévit dans l’est de la République démocratique du Congo pose aussi un problème pour l’organisation des élections », confirme Barnabé Kikaya, le conseiller diplomatique de la présidence, interrogé par RFI.
Une semaine de report du scrutin peut suffire « pour prendre des décisions qui s’imposent pour pouvoir organiser ou pas les élections dans cette partie de la République ».
Report des élections en RDC: pour Barnabé Kikaya, ce report est dû à «des phénomènes qui sont intervenus et que personne ne pouvait prévoir.»
21-12-2018 - Par Sonia Rolley
Pour le directeur du Groupe d'études sur le Congo, un centre de recherche de l'Université de New York, les arguments avancés par la Céni pour justifier le report auprès des candidats ne sont pas justifiés. « L’Ebola, ça concerne une toute petite partie du pays, souligne Jason Stearns, et de toutes les façons, l’Ebola ne sera pas réglé dans une semaine. La crise d’Ebola existe depuis des mois, donc ce n’est pas avec un report de sept jours qu’on saura régler le problème d’Ebola. Pour les conflits communautaires, intercommunautaires, il y a eu des conflits intercommunautaires partout dans le pays depuis très longtemps, on les minimise, c’est aujourd’hui qu’ils mettent ça en avant ? C’est quand même un peu difficile à comprendre que ce soit ça le problème ou la raison pour repousser les élections. »
Pour le chercheur, ni l’incendie de l'entrepôt de matériel électoral, ni Ebola, ni les conflits intercommunautaires ne sont de réels obstacles à l'organisation du scrutin. « Je pense qu’il y avait du retard. Déjà, les élections avec deux ans de retard. Ils ne savaient pas le faire le 23 décembre... »
Une semaine : un délai trop court, confirme Alain-Joseph Lomandja
Pour l'expert électoral congolais, Alain-Joseph Lomandja, ancien chargé des programmes de la Commission épiscopale justice et paix et ancien consultant du centre Carter en RDC, ce report ne permettra pas de régler les problèmes techniques, et il ne permettra pas davantage de crédibiliser le processus.
« J’ai même l’impression que le report lui-même n’est pas pensé ni justifié d’une manière suffisamment technique pour tenir les nouveaux délais qu’ils se fixent. A partir du moment où ils savent qu’il y a un sérieux problème de déploiement du matériel à l’intérieur du pays ; à partir du moment où ils ne sont pas sûrs qu’ils vont réussir tout le déploiement en une semaine comme ils le prétendent, fixer un délai qu’ils risquent de ne pas tenir, c’est exposer encore l’opinion à une sorte de gymnastique ».
Que va faire le pouvoir si au bout de cette semaine, il ne peut pas davantage organiser le scrutin, interroge encore Alain-Joseph Lomandja.
La ville s’est réveillée timidement ce vendredi. A huit heures du matin, quasiment pas d’embouteillages, les boutiques et autres commerces ont ouvert un peu plus tard. Beaucoup de Kinois craignaient des troubles.
Reportage lendemain d'annonce à Kinshasa
21-12-2018 - Par Patient Ligodi
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