Rares sont ceux qui connaissent aujourd’hui l’existence des
Héréros, leur histoire et destin. Et pourtant, c’est
à cette petite tribu, qui vivait dans les limites de la colonie
allemande du Sud-ouest africain, l’actuelle Namibie, qu’a
échu le peu enviable privilège de subir, d’abord,
le premier génocide du XXème siècle, onze ans
avant celui des Arméniens et d’inaugurer, ensuite le travail
forcé dans des camps de concentration.
ous sommes en 1904. Les Héréros
luttent désespérément pour leur survie en tant que
peuple.
Installés en 1884 sur les côtes de l'actuelle Namibie, les Allemands décident en 1904 d'en faire une colonie de peuplement blanche. Quitte à en éliminer la population noire, essentiellement constituée par les tribus héréro et nama. Ce sont plus de 60 000 Hereros qui vont disparaître en deux ans. Par des méthodes - ordre d'extermination, camps de concentration - qui préfigurent celles utilisées contre les Juifs moins de quarante plus tard.
C'est vers 1880 que des Allemands s'installent sur les côtes de l'actuelle Namibie. A l'origine de la colonie, le séjour prolongé de missionnaires et de commerçants dans l’un des rares territoires africains non encore revendiqués par les puissances européennes. En 1883, Adolf Lüderitz, un commerçant de Brême, inspiré par la découverte de diamants en Afrique du Sud, conclut deux contrats avec des chefs locaux. Bismarck saisit l'occasion pour placer ce territoire sous la protection du Reich. Nous sommes en 1884. Heinrich Goering (le père de Hermann qui sera un des plus hauts dignitaires du Reich nazi) est le premier gouverneur civil de la nouvelle colonie.
Tout en s'appuyant sur des effectifs allemands réduits (en 1903, le territoire ne compte que 3700 colons et fonctionnaires), l'ordre impérial trouve rapidement ses marques, utilisant à son profit les rivalités tribales: le gouvernement colonial joue tantôt les Héréros contre les Namas, tantôt les Namas contre les Héréros, etc.
Signant traité sur traité avec la puissance coloniale, les élites locales, dans le souci à la fois de ménager la paix et de s'enrichir, en viennent à vendre à cette dernière des portions de plus en plus larges de terres hereros. Suscitant des ressentiments au sein de la population, qui ne peut plus utiliser ces terres pour ses troupeaux. Au point que les colons allemands se persuadent de l'imminence d'un soulèvement général. Leur comportement finira par le provoquer.
Le soulèvement de 1904 est perçu par les Allemands comme une aubaine : il leur fournit un prétexte pour se débarrasser d’une population qu'ils méprisent et qui, surtout, les gêne. L’objectif impérial est en effet de transformer le Sud Ouest africain en une colonie de peuplement blanche. Les différentes tribus locales seraient quant à elles parquées dans autant de réserves "protégées". La colonie est riche, particulièrement en minerais : de l’or mais aussi des diamants. Le conflit avec les Héréros est inévitable. Or ceux-ci vont devoir affronter un empire à la fois autoritaire - celui de Guillaume II - et hanté par la question raciale; le nationalisme allemand est ethnique, fondé sur la communauté de sang et de sol. L'idéologie "racialiste" (Volkisch) bat en effet son plein dans l'Allemagne wilhelmienne.
La guerre prend dès lors les allures d'un affrontement bien plus racial que colonial, où l'intention n’est pas tant de soumettre l'ennemi en vue de l'exploiter économiquement que de l'éradiquer. Et c'est bien à une guerre d'extermination raciale que se livre le général en chef des forces allemandes, Lothar von Trotha - connu pour sa dureté envers les indigènes depuis ses démonstrations de brutalité en Chine et dans l'Est africain allemand. Le 11 août 1904, à l'occasion de la bataille d'Hamakari (Waterberg en allemand), la seule de tout le conflit, il extermine non seulement les 5 000 à 6 000 combattants mâles,mais encore les quelque 20 000 à 30 000 civils qui les accompagnent. Surtout, le 2 octobre 1904, von Trotha rédige en "petit nègre" et promulgue un ordre d'extermination (Vernichtungsbefèhl) : "Moi, le général des troupes allemandes, adresse cette lettre au peuple herero. Les Hereros ne sont plus dorénavant des sujets allemands. Ils ont tué, volé, coupé des nez, des oreilles, et d'autres parties de soldats blessés et maintenant, du fait de leur lâcheté, ils ne se battent plus."
"Je dis au people : quiconque nous livre un Herero recevra 1 000 marks. Celui qui me livrera Samuel Maherero [le chef de la révolte] recevra 5 000 marks. Tous les Hereros doivent quitter le pays. S'ils ne le font pas, je les y forcerai avec mes grands canons. Tout Hererro découvert dans les limites du territoire allemand, armé comme désarmé, avec ou sans bétail, sera abattu. Je n’accepte aucune femme ou enfant. Ils doivent partir ou mourir. Telle est ma décision pour le peuple Héréro."
Sûr de sa mission impériale, von Trotha refuse tout idée de compromis, pourtant impulsée de l’intérieur même de la petite communauté allemande, notamment par Leutwein, le Gouverneur (civil) impérial. Ce dernier qui ne partage en rien "le point de vue de ces fanatiques qui veulent la destruction totale du peuple Herero, sans même parler qu’il n’est pas facile d’anéantir un peuple de 60 à 70.000 âmes, considère cette politique totalement absurde d’un point de vue économique. nous avons besoin des Hereros comme vachers, certes en nombre réduit et comme agriculteurs. Il serait plus que suffisant de les anéantir politiquement."
Trotha n’en démord pas. Son courrier du 4 octobre 1904 adressé à von Schlieffen, le chef d'Etat-major de l’armée impériale, témoigne tout au contraire de sa totale détermination génocidaire : "la nation Héréro devait être soit exterminée ou, dans l'hypothèse d'une impossibilité militaire, expulsée du territoire (…) J'ai donné l'ordre d'exécuter les prisonniers, de renvoyer les femmes et les enfants dans le désert (…)". Le soulèvement est et reste le début d'une guerre raciale. Soutenu par Guillaume II, von Trotha l’emporte sur Leutwein, poussé à la démission.
Inexorablement décimés et repoussés, Les Héréros, quant à eux, n'ont d'autre choix que de prendre la route du désert Kalahari, Omaheke dans leur langue, où leurs chances de survie sont d'autant plus minces que les Allemands ont pris soin d'empoisonner les principaux puits sur leur trajet : "Le blocus impitoyable des zones désertiques, pendant des mois, paracheva l’œuvre d’élimination" écrit l’état-major général dans la chronique militaire officielle. "Les râles des mourants et leurs cris de folie furieuse… résonnèrent dans le silence sublime de l’infini. Le châtiment avait été appliqué. Les Hereros avaient cessé d’être un peuple indépendant. Lorsque arriva la saison des pluies, des patrouilles allemandes trouvèrent des squelettes gisants autour de trous secs, profonds de 12 à 16 m., que les Africains avaient creusés en vain pour trouver de l’eau."
Le désert se révèle fatal à quelque 30.000 Hereros, tout comme il le sera 11 ans plus tard aux populations arméniennes de Turquie. Début 1905, la révolte est matée. La tribu autrefois florissante n'est plus que l'ombre d'elle-même. Que reste-t-il alors des 80.000 personnes qu'elle comptait un an plus tôt ? Tout au plus une dizaine de milliers d’individus réfugiés dans les colonies britanniques voisines, à quoi s’ajoutent les quelques milliers qui ont réussi à se fondre dans le bush. La même année, l’ordre d’extermination est levé. L’Allemagne de Guillaume II, toute rongée qu’elle est par la fièvre racialiste, n’est pas encore celle d’Hitler. Elle est sensible et attentive aux fluctuations de l’opinion publique, nationale (missions chrétiennes, opposition libérale et sociale-démocrate au Reichtag) comme internationale (presse). Von Schlieffen comme von Bulow comprennent assez tôt que l’ordre d’extermination doit être levé. Reste à en convaincre Guillaume II, ferme soutien à la politique de von Trotha. Aux termes de treize jours de discussions et de débats parfois très vifs, Guillaume II se laisse finalement fléchir. Le Chancelier von Bülow s'y est employé à l'aide de quatre arguments :
1. la politique d'extermination
totale n'était pas chrétienne ; assurément le point
le plus faible de son argumentation, l’empereur estimant que les
concepts chrétiens ne s'appliquaient pas plus aux païens qu’aux
sauvages,
2. elle est irréaliste,
3. elle est économiquement insensée,
4. elle risque de donner aux Allemands une terrible
réputation parmi les nations civilisées.
Exit donc la politique d’extermination systématique; commence celle de l’esclavage. Dorénavant, tout Herero qui se rend aux autorités ne doit plus être abattu mais considéré comme astreint aux travaux forcés. Il sera marqué des lettres GH pour "Héréro capturé" (gefangene Herero). Les survivants du génocide, principalement des femmes, ne sont pas autorisés à repeupler le Hereroland, mais regroupés dans des camps de concentration ; l'usage du mot konzentrationslagern apparaît tel quel dans un télégramme de la chancellerie, en date du 14 janvier 1905 est attesté. Les Allemands n’ont pas seulement retenu les leçons espagnoles (les inventeurs du système concentrationnaire en 1896) et britanniques (camps d’Afrique du Sud, 1900), ils améliorent le système en associant barbelés et travail forcé. Pour la première fois, en effet, camp de concentration et travail ont partie liée. Pour la première fois, aussi, le système est post-bellum, hors contexte militaire.
A l’origine, les militaires réservent les Héréros à leur usage personnel. Petit à petit, et non sans difficultés, des entreprises civiles obtiennent leur quota de prisonniers, main d’œuvre précieuse puisque, comme le stipule une circulaire, "en tant que prisonniers, ils ne saurait être question de les payer pour leur travail." Les demandes doivent transiter par l’autorité locale qui établit les besoins civils et en réfère à l’autorité militaire qui reste toujours prioritaire (Etappenkommand). Les civils se voient ainsi allouer des " travailleurs " qu’ils doivent aller chercher au jour le jour – certaines grandes compagnies privées, comme la compagnie maritime Woermann, possèdent, elles, leurs propres camps. Ce sont des Héréros qui vont édifier la ligne de chemin de fer Luderitzbucht-Keetmanshoop. Si l’on est encore loin des conditions qui seront celles des camps de concentration nazis, force est de constater que les similitudes entre ceux-ci et ceux-là sont frappantes. Ainsi des conditions de travail qui voit plus de la moitié des internés, soit 7.862 personnes exactement, périr dès la première année de captivité. Un Britannique, témoin des faits, rapporte les scènes d'apocalypse qui accompagnent ces travaux : sous-nutrition, cris et insultes, coups de fouet, viols, hommes et femmes épuisés ou blessés, abattus le long de la voie ferrée. Le témoignage de Traugott Tjienda, un chef héréro local qui prend part à la construction de la voie ferrée d'Otavi est tout aussi accablant: "Notre peuple qui sortait du Bush fut astreint immédiatement au travail. Les hommes n'étaient plus que peau sur des os. Ils étaient si maigres qu'on pouvait voir à travers leur os. Ils ressemblaient à des manches à balais". Nommé contremaître, son équipe comptera 148 morts sur un total de 528. Autre témoignage encore que celui de Hendrik Fraser, écrit sous serment : "Lorsque je suis entré à Swakopmund, j'ai vu beaucoup de prisonniers de guerre Hereros. (…) Les femmes devaient travailler comme les hommes. Le travail était harassant … Elles devaient pousser des chariots, chargés à ras bord, sur une distance de plus de 10 km. (…) Elles mourraient littéralement de faim. Celles qui ne travaillaient pas étaient sauvagement fouettées. J'ai même vu des femmes assommées à l'aide de pioches (…). Les soldats allemands abusèrent de jeunes Hereros pour assouvir leur besoins sexuels." D’autres éléments font encore penser aux camps nazis. Ainsi, la froide et rigide discipline bureaucratique : les autorités ont l’obligation de rédiger des rapports mensuels où doit figurer "le nombre de prisonniers, catégorisés en hommes, femmes et enfants, alloués aux civils comme au gouvernement." Dans la mesure où ces listes doivent faire le compte de la main d’œuvre effectivement disponible, les prisonniers sont qualifiés d’ "aptes" ou de "non aptes" au travail. {Arbeitsfähig/Unfärig}. Dans le cas du camp de Swakopmund, la liste des autorités locales est assortie d’un registre des morts (Totenregister), qui détermine de manière précise les causes de mortalité : épuisement, bronchite, arrêt cardiaque, typhus. Plus confondant encore est l’utilisation de prisonniers de guerre héréro pour des expérimentations médicales. Carla Krieger Hinck, dans sa thèse de doctorat, mentionne l’envoi dans les universités de Breslau (Wroclaw) et de Berlin de collections de crânes héréro, préalablement nettoyés par des prisonnières de guerre à l’aide de tessons de verres. De nombreux corps de pendus hereros ou nama seront ainsi acheminés vers l’Allemagne en vue d’y être disséqués. Quarante ans plus tard, des médecins nazis collecteront des squelettes de (déportés) juifs. En 1908, en partie sous la pression de l'opposition parlementaire, les camps sont démantelés. Pour autant, les survivants ne sont pas autorisés à regagner leur territoire d'origine. Ils sont dispersés dans différentes fermes, portant au cou un disque de métal où figure leur numéro de matricule. Trois ans plus tard, en 1911, les autorités coloniales allemandes recensent 15.130. Près de 64.000 Hereros, soit près de 80% de la population originelle ont disparu en l'espace de sept ans, justifiant l’opinion d’un historien allemand pour qui les Héréros ont cessé d'exister en tant que tribu.
Source: www.lautresite.com/new/edition/explo/hereros/
VIDEO- DOCUMENTAIRE DU GENOCIDE: (en Anglais) toutes nos excuses
12 Commentaires
Ngor
En Janvier, 2011 (05:00 AM)Mbame Khoukh
En Janvier, 2011 (05:14 AM)Pop
En Juillet, 2021 (14:15 PM)Kakouji
En Janvier, 2011 (08:54 AM)Ftoure
En Janvier, 2011 (09:31 AM)Pff
En Janvier, 2011 (10:46 AM)Doyal-europe
En Janvier, 2011 (11:16 AM)Doyal-europe
En Janvier, 2011 (11:17 AM)Akon
En Janvier, 2011 (11:18 AM)Pff
En Janvier, 2011 (11:35 AM)POUR FINIR AHMADOU BAMBA MBACKE DEFOUL MIRACLE BA TOUBAB YI ECRIRE KO, AY DIOULI MER AK NIOM SENE YEUPP AY BLA BLA BLA LA MDRR ET PIS QUEL DELIRE DE CROIR CA
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En Janvier, 2011 (16:12 PM)Rewbadof
En Janvier, 2011 (18:41 PM)Kiligolo
En Janvier, 2011 (22:53 PM)Participer à la Discussion