Intransigeante depuis le putsch de mardi, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest réclame le rétablissement immédiat du président déchu. Au risque de s'attirer les foudres d'une partie de la population, qui voit plutôt l'événement d'un bon œil.
Le temps des coups d’Etat est révolu. C’est en tout cas le message que les pays voisins du Mali ont envoyé aux putschistes, deux jours après la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta («IBK»). Réunis jeudi par vidéoconférence lors d’un sommet extraordinaire, les pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont durci un peu plus le ton à l’égard des militaires au pouvoir.
Après avoir «nié catégoriquement» toute forme de légitimité à la junte, l’organisation régionale demande désormais le «rétablissement immédiat» du Président dans ses fonctions et la fermeture des frontières des pays ouest-africains avec le Mali. Comme si, après avoir échoué à résoudre la crise politique malienne dont elle était la médiatrice, la Cédéao était prête à tout pour sauver son allié, quitte à entacher un peu plus sa crédibilité et s’attirer les foudres d’une partie de la population.
Une Cédéao divisée
Longtemps saluée pour son leadership en matière de respect des normes démocratiques, la Cédéao est aujourd’hui en perte de légitimité. Incapable de résoudre la crise au Mali, l’organisation est aussi accusée de fermer les yeux sur les crises politiques qui se jouent en son sein. A commencer par la Côte-d’Ivoire, secouée par des manifestations – violemment réprimées – contre la candidature du président Alassane Ouattara à un troisième mandat présidentiel, jugé «inconstitutionnel» par ses opposants.
Idem pour la Guinée, où Alpha Condé se dirige lui aussi vers un troisième mandat controversé. Ce sont justement ces deux dirigeants qui se sont montrés le plus inflexibles sur le sort d’IBK. «Il est curieux que la Cédéao fasse mention du respect de la Constitution malienne alors que certains de ses membres n’hésitent pas à fouler la leur aux pieds», relève Caroline Roussy, responsable du programme Afrique à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Auteure du rapport «L’architecture institutionnelle de paix et de sécurité en Afrique de l’Ouest» (qui sera publié la semaine prochaine), Niagalé Bagayoko estime pour sa part que les mécanismes de la Cédéao «ne sont plus adaptés pour répondre aux crises de la région» et que les mesures prises à l’encontre du Mali sont perçues comme allant «à l’encontre des volontés des peuples». Dans le document «Vision 2020», adopté par la Cédéao en 2007, les dirigeants reconnaissaient en effet «que les efforts de développement antérieurs et infructueux ont été dominés par les gouvernements et leurs agents», et insistaient sur la nécessité de davantage y associer la population.
Des divergences sont par ailleurs apparues entre les membres de l’organisation. A contre-pied de la Côte-d’Ivoire et de la Guinée, le Burkina Faso de Roch Marc Christian Kaboré et le Sénégal de Macky Sall ont ainsi plaidé pour des mesures économiques plus modérées à l’égard du Mali.
«Il faut distinguer la Cédéao des chefs d’Etat, qui ont des positions différentes en son sein», rappelle pour sa part Gilles Yabi, fondateur du think tank Wathi, basé à Dakar. La France et l’Union européenne se sont dit aux côtés de la Cédéao et de l’Union africaine, appelant au maintien de l’ordre constitutionnel sans exiger le rétablissement du président IBK. Pour l’analyste politique, bien que la condamnation formelle d’un coup d’Etat soit «normale et attendue», il existe un «décalage entre la fermeté des mesures annoncées et la réalité politique au Mali».
Soulagement
Au Mali, justement, le coup d’Etat a été accueilli avec soulagement par une grande partie de la population. Depuis le 5 juin, plusieurs milliers de manifestants descendaient dans les rues pour exiger le départ du chef de l’Etat, jugé incapable de résoudre la crise sécuritaire et économique.
Vendredi, à l’appel du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques du Mali (M5-RFP), des centaines de Maliens étaient réunies à Bamako pour soutenir le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) au pouvoir. Sur les pancartes des protestataires, les slogans anti-Cédéao se sont substitués aux pancartes anti-IBK. «Que Mahamadou Issoufou [le président de l’organisation, ndlr] comprenne que le temps des dirigeants incompétents est révolu», pouvait-on lire notamment. Hors des frontières, plusieurs organisations de la société civile ouest-africaine ont appelé la Cédéao à «se conformer à la volonté du peuple».
En Guinée, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), mouvement citoyen s’opposant aux velléités de troisième mandat d’Alpha Condé, s’est empressé de «féliciter le peuple frère pour avoir reconquis sa souveraineté de façon pacifique et responsable». En Côte-d’Ivoire, de nouvelles manifestations contre Alassane Ouattara ont eu lieu vendredi, malgré la suspension des manifestations publiques annoncée par les autorités au lendemain du putsch malien.
Bien décidés de s’accrocher au pouvoir, ces deux chefs d’Etat gardent les yeux rivés sur leur voisin afin d’éviter un effet de contagion. Au risque de sacrifier l’alternance… et la démocratie.
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