Dadaab, dans le nord du Kenya et à moins de 100 km de la frontière somalienne, était il y a encore quelques années le plus grand camp de réfugiés du monde. Aujourd’hui, 226 000 Somaliens y vivent. La sécurité dans la région est très volatile car les shebabs somaliens représentent une menace constante. Le groupe terroriste recrute dans la région et certains réfugiés sont tentés de rejoindre le mouvement.
Sharifa Mo Ilowle fait la vaisselle. Elle s’occupe seule de neuf enfants et petits-enfants. Son mari est reparti en Somalie il y a un an. Officiellement pour aider sa mère malade. Mais sa femme n’y croit pas. « Il a menti, lâche-t-elle. Depuis qu’il est parti, je n’ai reçu aucun appel. Rien. Peut-être qu’il craint d’être sur écoute, je ne sais pas. Il est retourné dans notre région. Là-bas, les shebabs sont très actifs et tous les hommes doivent rejoindre le groupe et contribuer au mouvement. »
Sharifa Mo Ilowle soupçonne son époux de s’être peu à peu rapproché de leur idéologie. « Avant, c’était un agriculteur qui travaillait très dur. Mais il a changé peu à peu. Il est devenu silencieux et s’est mis à passer tout son temps à la mosquée. »
Quelques maisons plus loin, Khadidja Hussein Abdi a elle aussi vu son mari quitter le foyer en 2014 et rentrer dans sa région de Baïdoa. Elle a les mêmes soupçons que sa voisine. « Un jour, il m’a dit qu’il rentrait s’occuper des champs et du bétail et qu’il pourrait nous aider. Mais il n’a jamais rien envoyé. Je l’ai appelé une fois quand il fallait de l’argent pour construire cette maison. Il a répondu que je devais me débrouiller et que lui faisait autre chose. Je sais qu’il est avec les shebabs, car là-bas, tous les hommes font partie du mouvement. Il a refusé de jouer son rôle de mari, je pense que c’est un idiot. »
Le camp de Dadaab, située non loin de la frontière somalienne sur un axe clé, est régulièrement visité par les terroristes shebabs qui y recrutent leurs combattants. © Google Map
?« Nous sommes désespérés »
Les terroristes utilisent le camp de Dadaab comme vivier de recrutement. Certains réfugiés repartent au pays rejoindre leur rang. Mais d’autres restent pour conduire des attaques contre le gouvernement kenyan. Ils constituent une menace dans cette région à majorité musulmane et peuplée d'habitants d'ethnie somalie. Des gens qui se sentent abandonnés par le pouvoir.
Ainsi, dans la localité de Madhakisi, l'état d'esprit est très pessimiste. Vivant à 20 km du grand camp de Dadaab, les habitants décrivent un quotidien dégradé, entre manque de ressources et insécurité. « Des réfugiés coupent nos arbres, parfois ils volent notre bétail, déplore Adaoussa Khimit. Nous avons les mêmes ethnies, langue et religion. Mais comme ils sont très nombreux, parmi eux il y a des gens mauvais. L'insécurité est aussi un vrai problème. Notre plus grande peur ce sont les shebabs. »
Difficile d'évoquer les terroristes islamistes avec les villageois. Mohamed Qorane est un ancien. Il a même trop peur de nommer directement le groupe islamiste. « Un villageois était avec ses chameaux. Nous l'avons retrouvé mort, les jambes coupées. Nous soupçonnons les méchants venus de Somalie. Mais ne nous demandez pas de détails. C'est trop risqué pour nous. Notre village n'est pas protégé. Les soldats kényans se sont retirés. Nous sommes désespérés », soupire-t-il.
L'école du village tourne au ralenti. L'insécurité générale a fait fuir les professeurs originaires du sud du Kenya, et donc chrétiens. « On avait huit instituteurs pour notre primaire, ils étaient payés par le gouvernement, explique Mohamed Hussein Gulleh. Aujourd'hui, il n'y en a plus qu'un seul et il est de la région. Je ne sais pas pourquoi le gouvernement nous abandonne, si c'est à cause de l'insécurité, de notre ethnie, de notre religion... »
Un sentiment de marginalisation utilisé par les shebabs pour recruter parmi les Kenyans du Nord.
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