Le président Wade face à la presse : « Le monde a les moyens d’aider l’Afrique à construire ses infrastructures »

Le chef de l’Etat Me Abdoulaye Wade était hier dans l’après-midi face à la presse, dans la salle des banquets du Palais de la République. En présence du Premier ministre Macky Sall, du président du Conseil de la République Me Mbaye Jacques Diop,du ministre de l’Information Bacar Dia et de nombreux membres du gouvernement et du corps diplomatique, Me Wade a échangé autour de trois thèmes : la coopération Afrique-Asie, Afrique-Occident, son évaluation et perspectives, le financement des grandes infrastructures (routes, chemin de fer, ponts…) en Afrique. Wade Formula (PT-29) Qt= St ou les enjeux de la création du fonds pour le financement de la lutte contre la pauvreté et le développement du continent africain.

Dans son propos liminaire, le président Wade a insisté sur l’importance de ces trois thèmes, car « ils touchent directement le sort de l’Afrique et donc du Sénégal ». Partant du constat que l’Afrique n’est pas pauvre (elle a des matières premières en abondance), mais qu’on l’a appauvrie, Me Wade a rappelé le rôle joué par le continent dans la défense du monde libre au cours de la Seconde guerre mondiale avec des milliers de ses fils qui ont combattu sur les fronts. Depuis les indépendances, a exposé le Président, nous avons entrepris des échanges dans le cadre de la liberté avec les pays du Nord à travers des conventions de coopération. Mais quand on fait le bilan, on se rend compte qu’il n’est pas brillant a constaté Me Wade avant d’ajouter « ce qui fait que nous sommes toujours en course contre la pauvreté et non pour le développement ».

La nouvelle donne sur la scène mondiale c’est l’apparition de l’Asie et qui témoigne de l’intérêt à l’Afrique. Des pays comme le Japon, l’Inde ont développé une coopération avec le continent noir dans des domaines aussi divers que l’éducation, les nouvelles technologies, l’agriculture et la construction d’infrastructures comme les routes. Selon Me Wade, dans son appui au Nepad, New Delhi a déboursé 200 millions de dollars (environ 10 milliards de Fcfa) et a lancé le Team 9 (devenu 10) à l’initiative du Sénégal et qui est une avant-garde de pays africains avec qui l’Inde a décidé de renforcer sa coopération. Et d’autres pays comme la Corée du Sud se sont manifestés, mais avec des capacités moindres.

Mais aujourd’hui, semble se réjouir le président Wade, il y a l’équation de la Chine dont la coopération a subi un nouveau virage. « Elle n’est plus seulement ce pays qui construit des stades ou des maisons du peuple, mais entretient désormais une coopération multiforme et technologique » a-t-il indiqué. La nouvelle approche développée par l’Empire du Milieu repose sur la non-ingérance dans les affaires intérieures de ses partenaires et des relations mutuellement profitables. Cela crée a déclaré Me Wade, une certaine émotion en Europe et aux Etats-Unis où certains disent que les Chinois sont en train de s’emparer de l’Afrique. « Cela n’est pas vrai. Personne ne peut s’emparer de l’Afrique. Seulement elle est devenue un continent ouvert » a-t-il ajouté avec une pointe d’humour. De l’avis de celui-ci, il n’y a pas d’opposition entre la Chine et l’Occident en Afrique, car Pékin est également présent en Occident à travers des sociétés et des capitaux qui y sont placés. Alors pourquoi parler seulement de l’Afrique ? Et le président Chirac sur la question, a rappelé Me Wade, avait lancé l’idée d’une coopération triangulaire, entre l’Europe, l’Afrique et la Chine ; chaque partie apportant ses points forts.

Coopération pragmatique de la Chine

La coopération avec la Chine semble cependant pour les Africains plus pragmatiques et plus rapide dans sa mise en mouvement. Cela s’est démontré lors de la rencontre Chine –Afrique au cours de laquelle a souligné Me Wade, la Chine a dégagé quelques points dans sa relation avec l’Afrique. Ceux-ci tournent autour du renforcement de la coopération bilatérale, la construction d’un grand siège de l’UA, l’ouverture de l’économie chinoise à l’Afrique avec 440 produits du continent qui peuvent être exportés en Chine sans droit de douane (Pour rappel l’Agoa mis en place par les Usa porte sur 220 produits), un crédit de 5 milliards de dollars (2500 milliards de Fcfa), un fonds de 5 milliards de dollars pour les investissements en Afrique, l’effacement de la dette arrivée à échéance en décembre 2005, la création de cinq zones économiques sur le continent. A cela s’ajoutent la formation de 15.000 Africains, l’envoi de 100 ingénieurs en agriculture en Afrique, la construction de 30 hôpitaux, l’augmentation des bourses d’études de 2000 à 4000. Actuellement, en Chine, a révélé le président Wade, il y a 30 étudiants sénégalais qui y poursuivent des études de haut niveau.

La conclusion que tire Me Wade : tout cet intérêt pour le continent est qu’au lieu d’essayer de se paralyser, les grands pays devraient concourir à mieux faire en Afrique.

Abordant le deuxième point de son exposé qui a trait aux infrastructures Me Wade a qualifié d’un peu épique, la bataille pour leur construction. En effet a-t-il expliqué, pendant longtemps les partenaires occidentaux ont privilégié la lutte contre les maladies au détriment des infrastructures (Sommet de Gênes du G8 en juillet 2001 où Me Wade était invité)) . Ce qui selon lui est une erreur. Finalement l’importance des infrastructures dans le développement de l’Afrique sera reconnue dit-il au Sommet du G 8 de Gleen Eagles en Ecosse en juillet 2005. Toutefois a indiqué Me Wade, cela ne veut pas dire que les autres secteurs comme l’éducation seront délaissés. Mais, malgré la bonne volonté des Européens, rien n’est encore fait car on en est à chercher quels projets financer, a regretté le président Wade, alors que depuis 2002, ceux-ci ont été identifiés. Les réponses auraient du être fournies par le Nepad, mais celui-ci traverse une crise et « nous avons décidé de le transférer d’Afrique du Sud à Adis Abéba pour le transformer en Agence continentale de mise en œuvre » a-t-il déclaré. Me Wade a également révélé avoir proposé au président Obasanjo du Nigéria, la mise en place d’une commission mixte Europe-Afrique pour les infrastructures où seront invités des pays comme l’Inde, le Japon, les Usa ou la Chine. Y seront sélectionnés des projets intra-régionaux, régionaux et transcontinentaux. Parmi les grands projets d’infrastructures, Me Wade a cité les routes ou le chemin de fer pour relier différentes parties de l’Afrique. Les Etats-Unis ont fait la même chose chez eux en un temps record, pourquoi pas l’Afrique ? s’est-il interrogé. Et comme pour attirer l’attention des nations riches, Me Wade a prévenu qu’on aurait tort de négliger cette ambition de l’Afrique, même modérée, car le monde a les moyens de le faire. Il faut des investissements massifs et c’est possible et le secteur privé international a un grand rôle à y jouer, même si a reconnu Me Wade, il faut au préalable des réformes.

Le système des quotas est injuste

Endossant son manteau de professeur d’économie, Me Wade a estimé que le système monétaire international doit également être réformé parce que selon lui, le système des quotas qui y est pratiqué n’est pas juste car cela signifie qu’on donne plus à celui qui est le plus riche. Ses critiques sont surtout destinées au Fonds monétaire international, car Me Wade a décerné un satisfecit à la Banque mondiale. Le problème de l’Afrique comme on dit souvent, n’est pas l’absorption des capitaux, mais l’insuffisance d’hommes capables de les prendre pour les utiliser a-t-il souligné. Concernant les 200 milliards de dollars (10.000 milliards de Fcfa) de chiffres d’affaires faits par les sociétés étrangères en Afrique en 2005, Me Wade s’est montré particulièrement indigné que des sommes aussi colossales proviennent d’un continent aussi pauvre. C’est indécent s’est-il exclamé.

D’où la pertinence de la formule (PT-29) Qt= St qu’il a lancée et qui fut publiée pour la première fois dans le Financial Time le 22 septembre 2006. Sous cette formule énigmatique Me Wade veut tout simplement dire que si l’on prend PT qui est le cours du baril de pétrole en dollars américains durant l’année T et 29 qui est son cours moyen en 2003, Qt est le nombre de barils extraits de l’Afrique, St est donc le sur profit réalisé par les pétroliers à l’année T. C’est pourquoi pour plus de justice, a indiqué Me Wade, la rente des pays pétroliers doit également profiter aux pays non producteurs si on veut arrêter l’exode des populations vers les premiers. « Au-delà de 29 dollars le baril de pétrole, tout le surplus que nous payons n’est pas normal à cause du monopole de l’Opep » selon le diagnostic du président Wade. Nous n’y pouvons rien car c’est une des déviations du libéralisme, mais le monde ne doit pas assister à la dégradation de nos économies, nous, pays non producteurs de pétrole a-t-il plaidé.

Répondant aux questions de la presse Me Wade a reconnu que parfois les thèses qu’il défend ne sont pas toujours comprises, mais : « je suis patient comme l’enseignant que je suis ».

Les surprofits des pétroliers sont indécents

Magnifiant la coopération avec l’Inde, il a estimé que c’est l’une des meilleures et dans le domaine de l’agriculture le Sénégal, grâce à l’appui de ce pays veut atteindre l’autosuffisance en riz dans les 5 ans à venir. Il est vrai a-t-il reconnu qu’il y a le point sombre des Ics, mais ce sont les Sénégalais qui n’ont pas su négocier, « mais heureusement, nous sommes venus pour relancer les Ics sur de nouvelles bases ».

Dans les relations sino-africaines, Me Wade s’est dit peiné lors du dernier sommet de Beijing de voir les chefs d’Etat africains défiler devant le président chinois pour un temps de parole de 5 minutes. « J’aurais préféré que le président de l’Ua réponde au président chinois ».

Parlant de l’idée qui fait de l’Afrique une chasse gardée de l’Europe, Me Wade a estimé qu’il s’agit là d’un préjugé éculé et que l’Afrique n’est la chasse gardée de personne. « Nous sommes prêts à coopérer avec tout le monde ».

Interpellé sur ses positions souvent très tranchées, Me Wade déclare : « je ne suis pas un révolutionnaire, mais un économiste et un homme politique. Je me limite à l’Afrique dans mon combat ». Seulement a-t-il ajouté, il faut des gens qui posent les vrais problèmes et j’aurais failli à ma mission si je ne défendais pas les intérêts du Sénégal et de l’Afrique. Et dans cette posture a-t-il poursuivi, certains ont essayé de me déstabiliser, mais je dois réussir.

Pour se développer, il faut des capitaux, mais si l’Afrique veut les attirer selon Me Wade, il faut un système monétaire et financier performant et d’ailleurs c’est pourquoi, en Afrique de l’Ouest, une monnaie unique est en gestation, malgré les difficultés.

Revenant sur la Banque mondiale, Me Wade a estimé : il faut qu’elle se décentralise en s’installant en Afrique car « pour construire une autoroute, on n’a pas besoin d’aller à Washington ». D’ailleurs, a ajouté le président Wade, les déplacements de délégations africaines auprès des institutions financières internationales coûtent tellement cher à nos pays que j’ai proposés que leurs frais de déplacement et de séjour soient pris en charge en partie par ces mêmes institutions.