Fin juillet, les rivières Tshikapa et Kasaï ont été polluées par des substances toxiques après qu’un barrage de déchets miniers a cédé en Angola. Alors que cette pollution affecte durement les populations de la province du Kasaï dans le centre de la République démocratique du Congo, les autorités congolaises redoutent une crise environnementale à l’échelle régionale avec une probable contamination du fleuve Congo.
À Tshikapa, ville principale de la province du Kasaï, l’inquiétude grandit. Cela fait près d’un mois maintenant que les populations ne peuvent plus pêcher les poissons d’eau douce dans les rivières Kasaï et Tshikapa.
Ces deux cours d’eau qui traversent la ville ont été pollués par des produits toxiques tuant des milliers de poissons. Les premières carcasses ont été remarquées par les pêcheurs entre le 31 juillet et le 1er août. Les deux rivières avaient pris une coloration rougeâtre.
"C’est une grave crise alimentaire en plus de celle environnementale qui guette les populations"
Sosthène Kambidi, correspondant du média local en ligne Actualite.CD dans le Kasaï, raconte :
La pollution a commencé en Angola dans la province de Lunda Norte qui est frontalière à celle du Kasaï. C’est l’entreprise diamantaire Catoca Mining Company qui a déversé des déchets toxiques dans la rivière Tshikapa qui prend sa source dans cette région. Or cette rivière qui sert de frontière naturelle entre l’Angola et la République démocratique du Congo se jette dans la rivière Kasaï au niveau de la ville de Tshikapa.
Aujourd’hui, l’eau est en train de reprendre sa couleur normale. Mais il n’est plus possible d’exploiter les cours d’eau : le gouvernement a interdit la consommation de ces eaux, nous ne savons pas combien de temps cela va durer et il n’y a plus de poissons.
Cette pollution constitue une vraie menace pour l’économie de la ville qui dépend majoritairement de ces deux rivières. C’est par la rivière Kasaï que Tshikapa est ravitaillé en denrées alimentaires depuis la ville d’Ilébo à plus de 600 km au nord. Avec l’interdiction d’être en contact avec l’eau, il n’est plus possible de convoyer les marchandises. Aussi, les produits maraîchers cultivés sur les rives ont également été pollués. Et les femmes ne peuvent plus vendre du poisson frais pêché dans les rivières. Les activités des exploitants de diamant sur les cours d’eau ont été aussi suspendues.
En plus de la crise environnementale, c’est une grave crise alimentaire qui guette.
Dans un communiqué publié le 9 août et consulté par Reuters, l’entreprise d’extraction de diamants Catoca, la plus grande d'Angola, a indiqué qu’à la suite d’une rupture d’un déversoir au niveau d’un de ses barrages de déchets miniers, des résidus se seraient répandus dans un cours d’eau le 27 juillet, sans plus de précision.
Il s’agirait du ferrosilicium, un alliage qui sert à condenser le minerai de diamant. Mais selon Jeune Afrique, un laboratoire vétérinaire de Kinshasa dit avoir trouvé d’importantes quantités de fer et de nickel dans les échantillons d’eau analysés.
"Les populations sont exposées à des maladies cancérigènes et hydriques"
Dans la ville de Tshikapa, plusieurs milliers de personnes seraient affectées par cette pollution de grande ampleur, selon les autorités provinciales.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Julie Ochano, présidente de l’ONG "Binadamu en action" et membre du Réseau des femmes pour le développement du Kasaï (RFDK) alerte déjà sur la crise sanitaire que pourrait engendrer ce drame écologique.
Plusieurs femmes se lavaient avec les eaux de ces rivières. Et des ménages l’utilisaient comme eau de boisson ou pour préparer à manger. À Tshikapa, tout le monde n’a pas accès à l’eau potable.
Aux premières heures de la pollution, même les hippopotames et les crocodiles qui sont dans les cours d’eau sont morts. Ils ont été mangés par les populations. Encore aujourd’hui des pêcheurs artisanaux bravent l’interdiction de consommer les produits des rivières et revendent clandestinement ces poissons contaminés sur les marchés de la ville.
Les populations se baignant dans la rivière Tshikapa en août dans la province du Kasaï.
De fait, les populations sont exposées à des maladies cancérigènes et aussi à des maladies hydriques, surtout les femmes. Une zone de santé de la ville a déjà alerté sur la hausse des cas de diarrhées.
Les autorités doivent répondre de manière urgente pour limiter les dégâts. Cela fait bientôt un mois que la pollution a été constatée mais pour l’instant les populations n’ont reçu aucune assistance humanitaire. Pas même le moindre médicament.
Les autorités provinciales impuissantes
Contacté, Dieudonné Piemé, le gouverneur provincial du Kasaï, dit son impuissance face au désastre. Mais prévient que la situation pourrait s’aggraver à une échelle régionale :
À la lumière du degré de pollution que nous avons enregistré, il est évident que les villes de Kinshasa et de Brazzaville [NDLR, capitales respectives de la RD Congo et du Congo séparées par le fleuve Congo] sont particulièrement menacées. Les provinces de Mai-Ndonbé et du Kwilu ont déjà été affectées. Ce sont les dernières provinces avant le déversement de la rivière Kasaï dans le fleuve Congo.
Mais nous n’avons pas assez de moyens pour donner des réponses directes à ce problème qui est sans précédent. Pour l’instant nous sommes encore dans l’évaluation des dégâts. Les pertes sont énormes. Nous avons perdu la quasi-totalité de notre population poissonneuse mais aussi des cultures qui étaient réalisées le long des rives.
Un travail est en train d’être fait pour déterminer le besoin exact des sinistrés. Et le gouvernement central a été instruit pour déployer une assistance humanitaire. Mais à notre niveau nous avons appelé à la solidarité communautaire pour que ceux qui n’ont pas été touchés viennent en aide aux victimes.
Malheureusement il faudra attendre un bon moment pour que la situation revienne à la normale.
Vendredi 27 août, Jean-Jacques Mbungan, ministre congolais de la Santé, a assuré que des kits médicaux d’urgence seront distribués aux populations et de la mise en place de points de fourniture d’eau potable. Le lendemain, une délégation conduite par Eve Bazaïba, vice-Première ministre en charge de l’environnement, s’est également rendue sur place pour rassurer les populations et les élus locaux.
Une réunion tripartite devrait avoir lieu entre les ministres de l’environnement de la RD Congo, du Congo et de l’Angola. Selon le gouverneur provincial du Kasaï, "c’est certainement le principe du pollueur-payeur qui va devoir s’appliquer pour l’indemnisation écologique et éventuellement l’indemnisation des personnes qui ont été affectées".
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