Empêtrés dans des scandales d’Etat et accusés d’exercer une influence indue sur le gouvernement de Jacob Zuma, les Gupta sont devenus synonymes de la corruption et du népotisme qui gangrènent la vie politique sud-africaine. La famille d’origine indienne a été contrainte de quitter leur pays d’adoption, mais leur départ précipité ne marque sans doute pas la fin de la désillusion des Sud-Africains vis-à-vis du parti de Mandela au pouvoir à Pretoria depuis la fin de l’apartheid en 1994.
Les rumeurs se faisaient particulièrement insistantes depuis quelques jours, les journaux sud-africains spéculant ouvertement sur l’avenir des frères Gupta, surtout depuis que les banques avaient décidé de couper les vivres à leurs nombreuses entreprises. Puissants hommes d’affaires d’origine indienne qui ont fait fortune dans l’Afrique du Sud post-apartheid, les Gupta sont aujourd'hui accusés d’abus de biens sociaux et d’avoir exercé une influence indue sur le gouvernement en profitant de leur proximité avec la famille du président Jacob Zuma. Cette proximité a fait l’objet de débats jusque dans les rangs du Parlement, où l’opposition a demandé au chef de l’Etat de s’expliquer sur la nature de ses relations avec les Gupta.
Confrontée à une pression politique montante, la famille incriminée a finalement quitté le pays le 8 avril, après avoir démissionné des postes de direction au sein d’Oakbay, leur principal holding d’investissements cotée à la Bourse de Johannesburg. Selon les proches de la famille, la fratrie propose de s’installer à Dubaï où elle possède des propriétés, même si le retrait de leurs investissements sud-africains ne semble pas être encore à l’ordre du jour.
Un pied dans tous les secteurs qui comptent
Les Gupta sont arrivés de l’Inde au début des années 1990, alors que s’effondrait le régime d’apartheid et que Nelson Mandela s’installait à l’Union Buildings pour exercer le pouvoir au nom de la majorité noire. La légende veut que le patriarche de la famille issue du nord de l’Inde aurait poussé son fils aîné Atul à aller explorer les opportunités d’affaires dans l’Afrique vouée à devenir, selon lui, « l’Amérique de demain ». Le fils obéissant a obtempéré. L’expérience fut suffisamment concluante pour qu’il s’y établisse et fasse venir ses autres frères. Ils débutent tout en bas de l’échelle en vendant des chaussures depuis leur voiture, puis des ordinateurs et des composants électroniques. La famille fait fortune et réussit à construire en l’espace de vingt ans un véritable empire industriel, englobant des secteurs aussi différents que l’informatique, les mines d’or et de charbon, l’ingénierie, le nucléaire, le tourisme…Last but not least, ils investissent dans le secteur des médias en lançant en 2010 un journal pro-gouvernemental baptisé The New Age et une chaîne de télé tout info ANN7, créée en 2013.
« Difficile de ne pas être impressionné par l’entregent de cette famille venue de si loin et qui a réussi à avoir un pied dans tous les secteurs qui comptent, alors que la promotion sociale reste difficile d’accès pour les Sud-Africains noirs », s’exclame Liesl Louw-Vaudran, éditorialiste au Mail & Guardian. En effet, les Gupta étaient devenus en deux décennies l’une des plus riches familles du pays, gérant leurs affaires à partir de leur résidence somptueuse à Saxonwold, un des quartiers les plus huppés de Johannesburg. Ils sont aussi propriétaires d’une résidence secondaire à Cape Town qui aurait appartenu au fils de l’ancien Premier ministre britannique Margaret Thatcher. L’empire Gupta qui employait jusqu’à encore récemment 10 000 personnes générait un chiffre d’affaires annuel de quelque 5 milliards de rands (soit approximativement 300 millions d’euros).
Amis de trois présidents
Cette réussite sociale remarquable n’aurait sans doute pas été possible, selon les commentateurs, sans la complicité de la classe politique locale. Le second frère de la fratrie Gupta, Ajay, apparemment le plus politique du trio, se targue de compter parmi ses amis trois présidents, Thabo Mbeki (1999-2008), Kgalema Motlanthe (2008-2009) et bien sûr Jacob Zuma (2009- ). Il déclare d’avoir été présenté à Mbeki par Essop Pahad, ministre influent près la présidence sous le premier qui, à son tour, l’aurait présenté à Zuma. Cette déclaration a été confirmée par la Fondation de l’ancien président Mbeki.
C’est au début des années 2000 que les frères Gupta font la connaissance de Jacob Zuma avec lequel leur nom est aujourd’hui associé. D’ailleurs le président Zuma n’a jamais caché qu’il entretenait des relations étroites avec cette famille indienne. D’autant que plusieurs membres du clan Zuma travaillent ou ont travaillé dans les entreprises Gupta et/ou en détiennent des parts. Sa fille, Duduzile, a été un temps directrice d’une des sociétés du groupe, avant de donner sa démission. Selon la BBC, le nom de la quatrième épouse du président, Bongi Ngema-Zuma, figure toujours dans la liste des employés du groupe Gupta. Enfin, le fils du président, Duduzane Zuma, dirige aujourd’hui la société Sahara Computers, spécialisée dans la commercialisation des ordinateurs, où il est entré comme stagiaire à 22 ans. Le Zuma junior est aussi partenaire à part entière dans plusieurs entités créées par les Gupta. Devenu multi-millionnaire, le jeune homme détient des parts dans le Infinity Media, la holding dont relève la chaîne de télé ANN7 ainsi que les Tegeta Explorations & Resources, une entreprise minière.
En contrepartie, les Gupta ont bénéficié de parrainages gouvernementaux pour leurs différentes activités, dont les « petits déjeuners de travail New Age » organisés par leurs services de communication du quotidien maison. L’Etat avait pris l’habitude de payer des places à prix d’or pour que ses ministres les plus en vue puissent participer à ces rencontres matinales. Plus récemment, l’administration Zuma est accusée d’avoir délégué son ministre des Mines en personne pour négocier avec le groupe suisse Glencore la cession aux Gupta de ses actifs dans une mine de charbon sud-africaine. Le deal devait permettre au groupe indien d’assurer la fourniture de charbon à l’Eskom, compagnie sud-africaine de production et distribution de l'électricité. Des supputations que nient les Gupta dans le communiqué qu’ils ont publié avant leur départ, affirmant qu’il était « absurde de suggérer que nos affaires bénéficient du gouvernement quand moins de 1% de nos activités se font avec le gouvernement sud-africain ».
« Pour Jacob Zuma qui, avec son salaire de président, a du mal à subvenir aux besoins de sa famille particulièrement nombreuse et aux exigences de ses nombreuses épouses, explique Liesl Louw-Vaudran, son association avec les Gupta a été une excellente affaire. Grâce aux coups de main donnés à ces industriels privés pour faciliter leur mainmise sur des entités publiques, le président peut caser ses proches et assurer leur avenir. Il s’est laissé honteusement corrompre par les Guptas qui sont des affairistes, à l’affût de la moindre opportunité pour s’enrichir. »
Passe-droits et interférences politiques
Cette collusion entre les Gupta et le régime Zuma a éclaté au grand jour en 2013 lorsque, à l’occasion du mariage de leur nièce, ces riches industriels ont fait atterrir leur jet privé avec à bord pas moins de 200 invités venus de l’Inde, à la base militaire de Waterkloof, habituellement utilisée pour accueillir des chefs d’Etat et des ministres étrangers. Les invités ont été ensuite convoyés avec escorte policière jusqu’au lieu de la cérémonie, à 160 kilomètres de l’aéroport. Les médias s’étaient à l’époque saisis de l’affaire, pointant du doigt la légèreté avec laquelle le régime avait outrepassé les règles élémentaires de sécurité et de souveraineté nationale. L’opposition avait qualifié le scandale de « Guptagate » et avait convoqué le gouvernement pour venir s’expliquer devant la représentation nationale.
De nouvelles révélations, survenant en mars dernier alors que le président Zuma était éclaboussé par plusieurs scandales de corruption, ont mis à jour des interférences politiques par les Gupta, allant jusqu’à intervenir pour l’attribution de postes ministériels. Le ministre adjoint des Finances Mcebisi Jonas a affirmé s’être vu proposer par les Gupta le poste-clé des Finances. Malgré les dénégations véhémentes tant par les Gupta que par la présidence, cette pratique consistant à influencer les nominations à des postes-clé économiques aurait été semble-t-il courante, puisque dans la foulée de Jonas une autre membre du parti au pouvoir a confirmé avoir été approchée par les Gupta pour prendre le portefeuille sensible de la fonction publique contre des faveurs pour leurs entreprises.
Il semblerait aussi que les Gupta ne fussent pas étrangers au limogeage soudain en décembre 2015 du très respecté ministre des Finances Nhlanhla Nene qui avait repoussé aux calendes grecques le programme nucléaire sud-africain, cher au cœur du président Zuma. C’était aussi une mauvaise nouvelle pour les Gupta qui avaient acquis des intérêts dans des mines d’uranium dans l’espoir de desservir le nucléaire public.
Ces révélations tonitruantes ont valu au chef de l’Etat un mauvais quart d’heure mémorable au Parlement pendant son discours annuel de l’état de la nation 2016, perturbé par des sifflets des bancs de l’opposition, accompagné des cris de « Les Zuptas doivent partir ». La très grande proximité entre la riche famille indienne et le président ne fait désormais aucun doute, même au sein de l’ANC, le parti au pouvoir à Pretoria. Selon Ranjeni Munusamy, une des plumes les plus acerbes du quotidien Daily Maverick, les Gupta se sont fait des ennemis puissants dans l’ANC où les pro-Zuma s’affrontent aux réformistes représentés par l’actuel ministre des Finances Pravin Gordhan. Cette faction réformiste, proche du vice-président Cyril Ramaphosa, reproche aux Gupta non seulement leur mainmise sur le secteur public, mais aussi leur soutien à la candidature de Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de l’ANC.
Ces enjeux politiques à long terme ne doivent pas faire oublier, explique Ebrahim Fakir, un analyste politique indépendant, que les Gupta s’inscrivent dans une longue lignée de dynasties d’affairistes telles que les diamantaires Oppenheimer ou les Rupert, magnats de luxe, qui ont influencé les décideurs politiques sud-africains dans le passé. « Ce qui différencie les Gupta des autres grandes familles bourgeoises sud-africaines, nuance pour sa part Liesl Louw-Vaudran, c’est leur mode de vie particulièrement ostentatoire et tape-à-l’œil, dont témoigne l’organisation du mariage quasi-bollywoodien de leur nièce en 2013. Cette ostentation leur a été fatale. »
Il y a des risques qu’elle le soit aussi pour le président Zuma. Le tribun populiste Julius Malema, l’un des plus féroces adversaires du chef de l’Etat, tweetait dès que la nouvelle du départ des Gupta fut connue : « Selon nos informations, Zuma veut quitter le pays et demander l’asile politique à Dubai parce qu’il ne se sentirait pas en sécurité dans son pays. A confirmer ! »
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