La CPI n'est peut-être pas parfaite, mais jamais autant n'a été fait auparavant sur le continent africain pour réclamer des comptes aux auteurs des crimes les plus graves.
Il est courant d'entendre dire que l'Afrique et la Cour pénale internationale sont dressées l'une contre l'autre. La CPI est décriée comme étant « partiale » à l'égard de l'Afrique, ignorante des mentalités et des aspirations des Africains, voire néocoloniale.
En réalité, leur relation souffre d'une désinformation et de malentendus. De nombreuses parties partagent la responsabilité de cette situation. Certains dirigeants africains ont, à l'occasion, dénigré la CPI afin de se protéger des investigations de la cour.
Pour sa part, la CPI n'a pas été en mesure de transmettre efficacement son message sur le continent, le rendant susceptible d'être déformé par ceux qui cherchent à porter atteinte à l'institution.
Certains insistent sur le fait que la CPI n'a pas sa place en Afrique et que les États africains doivent se retirer de la cour car l'institution est essentiellement intervenue dans les conflits africains, alors que les situations en dehors du continent ne font l'objet d'aucune enquête. Il n'est toutefois guère logique d'insinuer que parce que la justice ne peut être rendue partout, elle ne devrait être rendue nulle part. Une telle attitude est une insulte aux victimes comme aux survivants.
Pourquoi la CPI a-t-elle axé ses enquêtes presque exclusivement sur l'Afrique ? Voyons un peu : quelqu'un peut-il affirmer que les situations en Afrique dans lesquelles la cour a ouvert des enquêtes officielles – le nord de l'Ouganda, la République démocratique du Congo, la République centrafricaine, le Darfour, le Soudan, le Kenya, la Libye, la Côte d'Ivoire et le Mali – ne justifient pas une intervention de la CPI ?
Dans toutes ces situations, les systèmes judiciaires locaux n'avaient pas la volonté ou étaient dans l'incapacité de mener à bien eux-mêmes l'enquête ou les poursuites. Dans la plupart des cas, les gouvernements concernés ont invité la cour et ont coopéré avec ses responsables. Dans d'autres, les États africains membres du Conseil de sécurité ont voté en faveur d'un renvoi des situations à la CPI.
Pourquoi la CPI n'est-elle pas intervenue ailleurs, et en particulier dans des États puissants ? La cour voit la portée de son action sévèrement limitée. Bien que des appels aient récemment été lancés à la CPI pour qu'elle agisse en Syrie et en Corée du Nord, son champ de compétence lui interdit de le faire. Notre groupe n'a cessé de prôner la ratification universelle du Statut de Rome afin de garantir la justice et l'obligation de rendre des comptes partout dans le monde.
Il est important de relever que la CPI a aujourd'hui ouvert une enquête sur la guerre de 2008 entre la Géorgie et la Russie, cette dernière étant membre permanent du Conseil de sécurité. La cour poursuit également son examen d'accusations de crimes internationaux perpétrés sur d'autres continents, dont des tortures et des techniques d'interrogatoire « renforcées » pratiquées par desresponsables américains en Afghanistan , ainsi que des crimes de guerre commis par des soldats britanniques en Ira k .
D'aucuns avancent que le type de justice rétributive proposé par la CPI n'est pas adapté à l'Afrique. Certains laissent même entendre que les sanctions pénales sont susceptibles de perpétuer les conflits alors qu'en réalité, enterrer les plaintes et les injustices ne fait qu'alimenter les troubles et l'impunité pour les puissants auteurs d'atrocités de masse risque de nuire à la stabilité et au développement à long terme.
Certes, aucune approche unique de la justice n'est suffisante. Les communautés africaines peuvent et devraient avoir voix au chapitre pour déterminer les types de mécanismes les plus appropriés. Mais la CPI ne se présente pas comme une solution miracle pour instaurer la paix ou la justice. Elle ne peut poursuivre que les individus portant la plus grande part de responsabilité dans la perpétration des atrocités de masse. Par ailleurs, elle s'est montrée de plus en plus sensible aux voix et aux aspirations des représentants africains.
Dans le nord de l'Ouganda, de nombreux citoyens ont clairement signifié qu'ils ne voulaient pas que les combattants de l'Armée de résistance du Seigneur (Lord's Resistance Army, ou LRA) fassent l'objet de poursuites. Ils veulent plutôt qu'ils soient intégrés au sein de leurs communautés à l'issue d'une procédure de justice traditionnelle. Le procureur de la CPI a dès lors assuré aux combattants de la LRA que la cour ne poursuivra que Joseph Kony et Dominic Ongwen et elle a encouragé les combattants à faire défection.
Jamais autant n'a été fait auparavant sur le continent africain pour réclamer des comptes aux auteurs de crimes internationaux. Nous nous réjouissons du procès de Hissène Habré au Sénégal, du projet de la République centrafricaine de mettre en place une cour pénale spéciale, du tribunal hybride proposé au Soudan du Sud, ainsi que de l'élargissement des compétences de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples afin d'y inclure les crimes internationaux.
Bien qu'aucun ne soit parfait en soi, ces développements et d'autres initiatives récentes mettent en évidence un continent qui a le potentiel nécessaire pour jouer un rôle de leader en matière de justice pénale internationale, si tant est que ses dirigeants tiennent leurs promesses.
Il s'agit également d'occasions qui s'offrent à nous et à la communauté internationale de partager une expertise et de s'engager dans des projets de renforcement des capacités judiciaires respectueux et propres à chaque contexte.
La CPI doit écouter les critiques constructives. Beaucoup font valoir que la cour est trop proche du Conseil de sécurité, dont trois des membres les plus puissants – la Russie, la Chine et les États-Unis – ne sont pas parties au Statut de Rome. Le procureur de la CPI n'est pas tenu d'accepter automatiquement les saisines du Conseil de sécurité et il veillera en toute indépendance à ce que soient respectées les exigences légales requises au regard du Statut de Rome, mais il n'en demeure pas moins difficile d'accepter le fait que les saisines pour les pires crimes qu'ait connus l'humanité puissent être assorties de réserves qui excluent de la compétence de la CPI un certain nombre d'acteurs potentiels de ces conflits.
La CPI doit réagir plus énergiquement face aux tentatives flagrantes de politisation de son mandat. Elle ne doit pas uniquement rendre la justice mais doit aussi être perçue comme telle en se montrant plus efficace, plus forte et plus réactive.
Les États africains sont des amis de la CPI. Les États africains continuent de déférer des situations à la CPI. Des Africains occupent les plus hauts postes au sein de la cour. Les États africains financent l'institution.
Nombre de responsables et de diplomates africains déclarent qu'ils n'ont aucunement l'intention de quitter le système du Statut de Rome. Nous appelons ces gouvernements à faire entendre leur voix avec force et courage dans le cadre de la lutte contre l'impunité – tant sur le continent africain qu'au-delà de ses frontières.
L'Africa Group for Justice and Accountability est un groupe indépendant d'experts africains venus d'horizons divers. Il est composé de Dapo Akande, Femi Falana, Hassan Bubacar Jallow, Richard Goldstone, Tiyanjana Maluwa, Athaliah Molokomme, Betty Murungi, Mohamed Chande Othman, Navi Pillay, Catherine Samba-Panza, Fatiha Serour et Abdul Tejan-Cole.
1 Commentaires
Anonyme
En Août, 2016 (17:28 PM)Participer à la Discussion