En dépit des pressions américaines, des résolutions onusiennes et des sanctions internationales, le pays de Kim Jong-un est loin d’avoir rompu ses vieilles relations avec le continent. Business as usual ? Oui, et même un peu plus que ça.
«Nous entretenons des relations diplomatiques avec tous les pays africains, sans forcément avoir d’ambassade sur place. En apparence, beaucoup se sont rapprochés de la Corée du Sud et se sont alignés sur la communauté internationale pour nous condamner, mais, au fond, rien n’a changé.
Même ceux qui nous condamnent continuent d’entretenir de bonnes relations avec nous ! Ils sont victimes d’un chantage des États-Unis et n’ont guère le choix. L’aide au développement, le commerce sont des arguments de poids ! »
Colonisation, une histoire similaire
À Pyongyang, Min est un diplomate à la retraite qui travaillait autrefois dans une ambassade nord-coréenne en Afrique – il y en a, au total, une vingtaine. Pour lui, les liens entre les deux parties ne sont pas près de se distendre. « La plupart des pays africains ont connu la colonisation, rappelle-t-il. Au fond d’eux-mêmes, leurs responsables jubilent quand ils voient notre petit pays tenir tête aux États-Unis. »
Ces liens remontent dans la plupart des cas à la guerre froide et aux guerres d’indépendance, quand, sous l’impulsion de Kim Il-sung, la République populaire démocratique de Corée (RPDC), elle-même victime de la colonisation japonaise (1910-1945), fournissait une aide aux nations africaines en lutte contre les puissances coloniales européennes et les régimes d’apartheid.
Guerre contre l’oppresseur
Ils sont idéologiques, bien sûr, puisque le refus du colonialisme est au cœur du juche, la doctrine officielle du régime, mais aussi culturels et économiques. Pour l’instant, ils résistent fort bien aux sanctions internationales contre Pyongyang et à l’influence grandissante de la Corée du Sud.
Tout au Zimbabwe est associé aux exploits du président Kim Il-sung », selon Robert Mugabe
Pendant la guerre de Corée, l’Afrique du Sud fut l’un des pays engagés dans le corps expéditionnaire onusien. Les responsables nord-coréens condamnaient en retour son régime raciste dans les termes les plus énergiques. Kim Il-sung, par exemple, voyait en lui « la forme la plus cruelle du colonialisme ». À la mort de Nelson Mandela, en décembre 2013, la Corée du Nord envoya ses condoléances officielles et salua un homme exceptionnel « dont la lutte pour la démocratie et contre le racisme » ne sera jamais oubliée.
Des statues nord-coréennes en Afrique
Le symbole le plus éclatant de la solidité et de l’ancienneté de ces liens ? Sans doute les impressionnantes statues et monuments de propagande que la Corée du Nord a érigés un peu partout sur le continent depuis les années 1970. Elles sont l’œuvre du studio d’art Mansudae, dont les équipes travaillent dans le monde entier.
Cette source de revenus non négligeable pour la Corée du Nord est régulièrement dénoncée par les Nations unies. Il n’empêche, une quinzaine de pays africains (parmi lesquels l’Angola, le Bénin, le Tchad, la RD Congo, la Guinée équatoriale, l’Éthiopie, le Togo, le Mozambique et le Zimbabwe) ont acquis des œuvres réalisées par le Mansudae Overseas Project (MOP), branche internationale de la maison mère, dont le siège est à Pyongyang.
Pyongyang veut honorer la renaissance africaine
La première a été inaugurée à Addis-Abeba le 12 septembre 1984 en hommage à la lutte des soldats éthiopiens et cubains durant la guerre de l’Ogaden. L’une des plus récentes, le Monument de la renaissance africaine, est haute de 49 m et domine le quartier de Ouakam, à Dakar.
Statue de la renaissance africaine, Dakar, Sénégal.
Mais ladite renaissance est symbolisée notamment par une femme à la poitrine à demi dénudée, ce qui a pas mal choqué. Commandée par Abdoulaye Wade, l’œuvre aurait coûté la bagatelle de 23 millions d’euros, somme que l’ancien président sénégalais aurait été dans l’incapacité d’acquitter intégralement…
Terrain de concurrence avec la Corée du Sud
Deux statues géantes de Robert Mugabe seraient par ailleurs entreposées dans un hangar. Elles ne seront dévoilées que lors du premier anniversaire de la mort du président zimbabwéen, aujourd’hui âgé de 93 ans. Les relations entre les deux pays ne sont pourtant plus au beau fixe depuis la visite à Harare, en 2016, de Park Geun-hye, la présidente sud-coréenne aujourd’hui déchue. « Mais les commandes étaient bien antérieures », précise Min.
Pourquoi le Zimbabwe a-t-il ainsi lâché ses vieux amis nord-coréens ? « Pressions, chantage et influence des néoconservateurs américains », tranche l’ancien diplomate. Il faut dire aussi que Park Geun-hye n’avait pas débarqué les mains vides. Dix accords de coopération ont été signés et 350 000 dollars de matériels militaires, commandés. Il fallait bien ça, tant les liens entre Harare et Pyongyang sont anciens.
Onze pays africains sur cinquante-quatre ne respecteraient pas les sanctions contre Pyongyang
Mugabe a même rencontré Kim Il-sung à Pyongyang, en 1978, comme en attestent les photos géantes exposées au Musée international de l’amitié, dans les monts Myohyang, dans le nord-est de Pyongyang. « Tout au Zimbabwe est associé aux exploits du président Kim Il-sung », déclarait Mugabe en 2007 à la tribune des Nations unies.
Les principes du juche sont en effet considérés comme un modèle par l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF), au pouvoir depuis 1980.
Numéro deux du régime, Kim Yong-nam salue Robert Mugabe, en mai 2009 à Pretoria, lorsde l’investiture de Jacob Zuma.
Marché des armements
Les activités du MOP ne se limitent toutefois pas à la production de statues et de monuments, loin de là. Avec sa filiale, la Korean Mining Development Trading Corporation (Komid), elle est considérée par les États-Unis comme « le premier vendeur d’armes nord-coréen et le principal canal de prolifération » des équipements relatifs aux missiles balistiques et aux armes conventionnelles.
Les deux compagnies sont donc la cible de sanctions internationales. Au cœur de leur activité en Afrique : la construction d’infrastructures gouvernementales et militaires (usines d’armements et de munitions, avec suivi de production et, parfois, transferts de technologie).
Construction d’infrastructures de défense
À en croire le dernier rapport onusien sur la question, onze pays africains sur cinquante-quatre ne respecteraient pas les sanctions contre Pyongyang. Ce serait notamment le cas de la RD Congo, de l’Angola, de l’Érythrée, de l’Égypte, du Soudan, du Mozambique et de l’Ouganda.
Nos liens sont plus forts qu’il n’y paraît et vont bien au-delà des contrats commerciaux », déclare Min, ancien diplomate
Sans oublier la Namibie, où la Corée du Nord aurait décroché, sans appel d’offres, bon nombre de contrats, essentiellement liés à la défense. Citons : la construction du palais présidentiel, celle du Musée militaire des forces namibiennes, à Okahandja, et celle du Musée de l’indépendance ; mais aussi l’aménagement des nouveaux bâtiments des services de renseignements et même l’extension de la ferme de l’ex-président Sam Nujoma à Etunda, à 350 km de Windhoek. Tout cela aurait rapporté à Pyongyang plusieurs milliards de dollars depuis 1999…
Promesses ambiguës
En dépit de l’annonce faite par le gouvernement namibien, en janvier 2016, de la rupture « avec effet immédiat » de ses contrats commerciaux avec le MOP et la Komid, la situation demeure, aujourd’hui encore, ambiguë. La construction d’une usine d’armements et de munitions à Oamites, avec l’aide de la Komid, et celle, commandée par le ministère de la Défense, d’une académie militaire à Leopard Valley seraient en effet toujours en cours.
Officiellement, les activités des deux entreprises nord-coréennes ont pris fin. Et l’achèvement de l’usine d’Oamites a été confié à une compagnie serbe. Pourtant, les habitants de la région se montrent dubitatifs. Ils racontent que les ouvriers nord-coréens, reconnaissables à leurs tenues bleu pâle, sont toujours là, à ceci près qu’ils affirment être aujourd’hui employés par une compagnie chinoise !
Amitiés au cœur du pouvoir
Allié historique, l’Ouganda a lui aussi mis fin à sa coopération militaire et policière en 2016, après la visite de Park Geun-hye, et promis d’appliquer les sanctions du Conseil de sécurité. Une décision prise manifestement à contrecœur.
Dans un premier temps, le président Yoweri Museveni avait en effet démenti toute idée de rupture avec Pyongyang, avant d’être contraint d’admettre que, son pays étant « contre toute forme de prolifération nucléaire et balistique », il appliquerait les décisions onusiennes.
Le Mozambique, épinglé par les Nations Unies pour l’achat d’armements. Les autorités démentent
Là encore, les relations entre les deux pays sont fort anciennes. Depuis son arrivée au pouvoir, en 1986, Museveni s’est rendu à trois reprises à Pyongyang, en 1987, en 1990 et en 1992, où il a rencontré Kim Il-sung et Kim Jong-il, son fils. On raconte que, lors d’un séjour à Séoul, en 2013, il créa la surprise en prononçant quelques mots en coréen, langue qu’il affirma, non sans humour, avoir apprise avec Kim Il-sung !
La liste est longue des pays qui ont fait appel à la Corée du Nord et noué avec elle des relations solides. À Maputo, une avenue porte le nom de Kim Il-sung, preuve de l’excellence des relations entre les deux pays depuis l’époque de la guerre froide.
Le Mozambique a d’ailleurs été lui aussi épinglé par les Nations unies pour l’achat à Pyongyang d’armements d’une valeur de 6 millions de dollars. Les autorités ont démenti, et Atanasio M’Tumuke, le ministre de la Défense, a précisé que les derniers contrats d’achat d’armes remontaient à la fin des années 1970, au lendemain de l’indépendance, et que son pays avait donc toujours scrupuleusement respecté les résolutions onusiennes.
Une manne stable et régulière
À l’Érythrée, la RPDC aurait livré du matériel de transmission radiophonique. En RD Congo, elle aurait participé à la construction d’une usine de munitions à Likasi, et assuré la formation d’unités spéciales de l’armée et de la garde présidentielle, qu’elle aurait entièrement équipées de pistolets automatiques.
En Angola, ses instructeurs auraient formé les membres de la garde présidentielle aux arts martiaux. L’Éthiopie compte sur sa coopération pour entretenir ses systèmes d’armements.
Quant à la Tanzanie, elle a invité à de multiples reprises des ingénieurs militaires nord-coréens en vue de la modernisation de ses avions de combat.
En 2016, les échanges bilatéraux auraient avoisiné 200 millions d’euros au total. Une manne stable et régulière pour Pyongyang. L’influence nord-coréenne en Afrique est-elle vraiment en déclin ? Min proteste : « Nos liens sont plus forts qu’il n’y paraît et vont bien au-delà des contrats commerciaux. »
De l’amour et de la fraternité…
Sur le site de la colonie internationale de Songdowon, à Wonsan, Mlle Kim, la directrice adjointe, évoque en souriant les innombrables enfants venus d’Afrique depuis la fondation de l’institution par Kim Il-sung, en 1960. Dans la cour, un petit Africain brandissant une raquette de badminton figure aux côtés des dirigeants nord-coréens dans un groupe monumental de bronze.
Mais ces jeunes venus d’Afrique sont de moins en moins nombreux à passer leurs vacances dans la colonie. « Autrefois, ils venaient de Tanzanie, du Sénégal, de partout, déplore Mlle Kim. J’éprouve pour l’Afrique le même sentiment que j’ai spontanément ressenti pour le petit Moussa, l’un des enfants du président du Nigeria, qui a séjourné ici récemment. Cet amour-là, c’est vraiment la base de nos relations avec le continent. »
Augmentation des échanges avec l’Afrique
Après son premier essai nucléaire, en 2006, la Corée du Nord, frappée par des sanctions onusiennes, a diversifié ses relations commerciales afin de ne plus dépendre exclusivement de la Chine. Elle s’est alors tournée vers ses « amis africains »
90 millions de dollars/an
C’est le montant des échanges commerciaux entre la Corée de Nord et les pays africains de 1998 à 2006
216,5 millions de dollars/an
Le montant de ces mêmes échanges de 2007 à 2015
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