Commémorer le génocide rwandais? En République démocratique du Congo voisine, la mémoire collective retient surtout que le drame de 1994 marque le basculement du pays dans la violence et l'instabilité, dont il peine toujours à sortir. "Les effets collatéraux de ces horreurs n'ont pas épargné mon pays qui a aussi subi des millions de pertes en vies humaines", a écrit le nouveau président congolais, Félix Tshisekedi, dans le livre d'or du mémorial du génocide à Kigali.
Sa visite fin mars - la première d'un président congolais - a suscité la colère chez certains de ses compatriotes qui accusent le Rwanda et son président Paul Kagame de déstabiliser l'est de la RDC pour faire main basse sur ses minerais rares. Autre grief entendu en RDC (ex-Zaïre): les Rwandais ont le monopole du "business de la compassion", au détriment des "millions" - les chiffres sont controversés - de victimes congolaises passées sous silence.
Groupes armés, réfugiés, présence onusienne, absence ou faiblesse de l'Etat...: impossible de comprendre la RDC en 2019 sans un retour sur les conséquences du génocide de 1994 qui sera commémoré dimanche par Kigali. "Avant 1994 il y avait la paix. Et puis les réfugiés hutus sont arrivés au Congo avec leur arsenal. C'est la genèse de l'insécurité totale ici dans l'Est", soupire John Banyene, 43 ans, président de la société civile à Goma.
Allusion aux centaines de milliers de Hutus rwandais fuyant en 1994 la contre-offensive des Tutsi FPR qui ont pris le pouvoir à Kigali après le génocide de leurs frères. Parmi ces Hutus, des civils, mais aussi des génocidaires, ex-soldats des Forces armées rwandaises (FAR) ou miliciens Interahamwe. En théorie, ils devaient être cantonnés et désarmés par l'opération française Turquoise, dont des officiers jurent 25 ans après qu'ils ont jeté les armes dans le lac Kivu.
Dans les faits, certains rejoignent au fil des mois des milices hutus congolaises du Kivu contre leur ennemi commun: les Tutsis congolais, ou les Tutsis rwandais ayant fui les massacres de 1959, 1973 et la guerre civile de 1990-94. Dans un chassé-croisé migratoire typique de cette région des Grands-Lacs, des Tutsis congolais se réfugient à leur tour au Rwanda, qui accueille encore en 2019 plus de 100.000 réfugiés congolais.
En 2019, la milice hutu du Front démocratique de libération du Rwanda (FDLR) compte encore 500 à 600 miliciens actifs dans l'est du Congo, selon les Nations unies. Fin 1996, le pouvoir tutsi rwandais soutient la rébellion AFDL du chef de guerre congolais Laurent-Désiré Kabila, avec chacun son but de guerre: éliminer la menace hutu à ses frontières pour le Rwanda, renverser le vieux maréchal Mobutu Sese Seko pour Kabila, qui prend le pouvoir à Kinshasa en mai 1997.
Dans l'Est congolais, les forces rwandaises règlent leur compte avec les Hutus, civils compris. Combien de victimes? A l'époque, la commissaire européenne aux droits de l'homme, Emma Bonino, s'était inquiétée de la disparition de 280.000 personnes. Certains ont même avancé la notion très controversée de "double génocide". En 1998, c'est le divorce entre le Rwanda et Kabila. Le nouveau maître de Kinshasa déçoit aussi les Tutsis congolais.
En réponse, des groupes d'autodéfense "maï maï" se créent, parfois avec le soutien des autorités congolaises. En 2019, le groupe des experts du Congo recense toujours plus de 100 groupes armés actifs dans l'est du pays. Le Rwanda abrite 117.000 réfugiés congolais, qui se sont soulevés contre leurs conditions de vie à Kibiza début 2018 (11 morts). Et il y a encore 216.857 réfugiés rwandais en RDC, dont une majorité d'enfants nés au Congo, selon le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR). Le HCR encourage les rapatriements ou, à défaut, tente de trouver des solutions avec les autorités congolaises pour ces réfugiés et leurs enfants qui naissent avec le même statut.
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