Ce jeudi, Laurent Gbagbo est deux fois dans l'actualité. A La Haye, les juges de la CPI doivent se pencher une nouvelle fois sur son éventuelle libération provisoire. Et à Paris, sort, ce même jour, aux éditions Max Milo « Libre, pour la vérité et la justice », un livre-entretien de l'ancien président ivoirien avec le journaliste français François Mattei. Que fera Laurent Gbagbo s'il sort de prison ? Sera-t-il candidat en 2020 ? Pourquoi, le mois dernier, a-t-il empêché son épouse Simone de devenir présidente par interim de son parti, le FPI ? François Mattei, son interviewer, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : « Mon ambition, c’est de revenir chez moi », vous dit Laurent Gbagbo. Est-ce à dire qu’il est convaincu qu’il sera acquitté d’ici le début de l’année prochaine ?
François Mattei : Il a une forte propension à le penser parce que de toute façon les évènements, tels qu’ils se déroulent à la CPI, le poussent à espérer vraiment, concrètement cette fois. Vous savez qu’il y a une audience ce 13 décembre pour une libération conditionnelle.
Et quand Laurent Gbagbo dit : « Pour m’empêcher de rentrer chez moi, sont-ils prêts à l’illégalité ». A qui fait-il allusion ?
Il fait certainement allusion à monsieur Ouattara, au régime en place. Il pense que peut-être on prendra des mesures ou on fera des choses pour qu’il ne passe pas la frontière.
S’il est acquitté ?
S’il est acquitté ou s’il a la possibilité de… parce que, pour l’instant, on parle là à l’heure qu’il est d’une libération conditionnelle. Quelles seront les conditions ? Aujourd’hui, on n’en sait rien.
Et il dit : « J’espère retrouver ma maison dans mon village natal », c’est-à-dire à Mama, près de Gagnoa.
Oui, il a fait changer, il a fait acheter les matelas puisqu’on lui a volé ses matelas, et un petit frigo qu’on lui avait aussi subtilisé. Il pense de façon très concrète. Il se revoit là-bas.
Il montre un profil bas, mais en même temps, il va plus loin puisqu’à votre question « Avez-vous le projet de redevenir président en 2020 ? ». Il répond : « Il n’est pas indispensable d’être président pour faire de la politique et se rendre utile. La Côte d’Ivoire, l’Afrique, c’est ma vie et je serai toujours concerné par leurs destins ».
C’est évident. La vie de Gbagbo et son destin politique, et sa carrière politique, se confondent totalement. Il n’y a aucune différence pratiquement entre l’homme et l’homme politique dans son cas. Il a été opposant et politique à 20 ans. Il l’est toujours et il ne changera pas. Et il est profondément concerné d’abord par le sort de son pays, c’est-à-dire la souveraineté de son pays, puis celui de l’Afrique au-delà de la Côte d’Ivoire. On le lui a reproché en disant que c’est un illuminé, mais pas du tout. C’est quelqu’un qui a une haute conscience de sa mission. Il pense qu’il a une mission pour la Côte d’Ivoire et pour l’Afrique. Et il le prouve puisqu’il la maintient pendant son incarcération. Sept ans de prison ne l’ont pas « guéri », si on peut dire.
Donc, il n’exclut pas d’être candidat à la prochaine présidentielle ?
Sans doute pas. Il ne me l’a pas dit ouvertement, évidemment. Mais quand il dit qu’il veut jouer un rôle politique, on peut le supposer fortement.
En tout cas, à votre question « Avez-vous le projet de redevenir président en 2020 ? », il ne dit pas non ?
Non. Il ne dit pas non. Mais Gbagbo ne dit jamais non (rires).
Après le décès le mois dernier, le 3 novembre, d’Aboudramane Sangaré, le président par intérim du Front populaire ivoirien (FPI), Laurent Gbagbo ne lui a nommé aucun successeur. Il s’est attribué, depuis sa prison de La Haye, une présidence de plein exercice. Est-ce à dire que, s’il est acquitté, il est déterminé à redescendre dans l’arène politique ?
Evidemment. Gbagbo redescendra dans l’arène politique et on peut considérer qu’il ne l’a jamais quittée puisque, quand on lui demande comment il fait pour tenir à l’âge qu’il a en prison pendant sept ans, c’est très simple. Il a intégré la prison dans son combat politique, donc il ne l’a jamais quitté.
En tant que deuxième vice-président du FPI, juste derrière Aboudramane Sangaré, Simone Gbagbo espérait logiquement devenir la nouvelle présidente par intérim. La suppression de ce poste, est-ce un signe de défiance peut-être de Laurent Gbagbo à l’égard de Simone Gbagbo ?
Nous n’en avons pas parlé, je dois dire, parce que j’attendais moi personnellement qu’il m’en parle parce que c’est particulièrement sensible entre Simone Gbagbo et Laurent Gbagbo, parce que je rappelle que Simone Gbagbo n’est pas que madame Gbagbo, Simone Gbagbo n’est pas une première dame. Simone Gbagbo est une militante politique. C’est une femme forte qui existe en tant que telle. Elle n’a besoin de personne pour exister. Je ne sais pas où ils en sont à ce niveau-là. Je pense moi qu’ils s’entendront de toute façon. J’en suis persuadé.
Plusieurs commentateurs parlent quand même d’une crise de leadership à la tête du FPI en ce moment ?
C’est certain. Le patron du FPI est en prison aujourd’hui, à l’heure où on parle. Et puis, Simone Gbagbo effectivement n’a pas accédé aux responsabilités. Evidemment, il y a un problème certainement. Mais un problème qu’il a aussi certainement anticipé parce que c’est quelqu’un qui anticipe. La solution de ce problème est déjà trouvée.
C’est-à-dire que peut-être Laurent Gbagbo s’est-il dit : je prends toute la présidence du FPI pour calmer les choses en dessous de moi. C’est ça ?
Je pense que c’est une façon aussi de geler, oui, un peu les choses, de les calmer effectivement et d’attendre des évènements qui permettent de remettre une dynamique politique sur le terrain.
L’amnistie prononcée au mois d’août 2018 par le président Ouattara au profit de 800 personnes, dont Simone Gbagbo précisément. Qu’est-ce que cela a inspiré à Laurent Gbagbo ?
Cela ne l’a pas bouleversé dans la mesure où il trouvait que c’était parfaitement injuste, la situation de ces gens-là et de Simone en particulier. Il n’a pas eu envie de dire merci. Il se trouve que petit à petit peut-être, sous la pression des évènements parce que la situation en Côte d’Ivoire n’est pas si rose qu’on peut le croire. En Côte d’Ivoire, ça va très mal. Donc sous la pression des évènements, ils font des concessions.
Donc il n’a pas pris cela comme un geste de réconciliation ?
Je ne pense pas. Je pense que c’est une concession à l’air du temps et à la pression ambiante.
Un signe de faiblesse ?
Oui, pour faire face à une situation qui n’est plus cette espèce d’état de grâce qui a suivi l’accession de Ouattara, soutenu par la France. Donc cet état de grâce est terminé. Pour ceux qui connaissent l’état de la Côte d’Ivoire aujourd’hui, il est plus que terminé, parce qu’il va y avoir des problèmes graves je pense. Donc oui, ce sont des concessions sous la pression des évènements, des désamours je pense nombreux au sein de la communauté internationale, en France notamment, et sans doute aux Etats-Unis.
La fin de l’alliance électorale entre le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) et le Rassemblement des républicains (RDR), la volonté d’Henri Konan Bédié d’aller à la prochaine présidentielle face à un candidat du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), est-ce que c’est un sujet qui intéresse Laurent Gbagbo ?
Oui. J’ai coutume de dire que ces gens-là, je parle d’Alassane Ouattara, de Konan Bédié et de Gbagbo, se connaissent toujours. Ils se connaissent mieux, eux entre eux, que nous ne les connaissons. Je pense que cela ne l’émeut pas non plus. Avec Bédié pendant l’élection, Bédié l’a un petit peu trahi dans la mesure où Bédié et Gbagbo communiquaient pendant les élections, notamment au deuxième tour en 2010, et que Bédié a choisi ou en tout cas a été contraint, peu importe, d’aller de l’autre côté. Dans les rapports humains, Gbagbo est assez doué et avec Bédié lui-même, il s’entendrait. Mais ce qui compte pour lui, à ses yeux, c’est l’électorat bien sûr.
Et peut-être aussi tous ces dignitaires du PDCI qui lui ont envoyé des messages, voire même sont allés lui rendre visite dans sa prison ?
Oui. Gbagbo représente en Côte d’Ivoire, là aussi qu’on le veuille ou non, peut-être le seul consensus qui existe, c’est-à-dire qu’il rassemble des gens qui sont de différentes obédiences, de différentes religions, de différentes provenances ethniques. Il avait réussi cette chose-là.
Dans votre livre-entretien, Laurent Gbagbo égratigne aussi quelques figures politiques africaines qui sont à ses yeux trop proches de la France postcoloniale. Du Burkinabè Blaise Compaoré, il dit : « Le temps est venu de construire enfin nos indépendances dans nos pays d’Afrique francophone. Il y a aujourd’hui une opinion publique en Afrique. Au Burkina, Blaise Compaoré a été chassé par son peuple ».
Oui. C’est un fait.
Il règle un peu ses comptes, non ?
Oui, peut-être. Il en a souffert de cet homme-là. Un règlement de comptes, je trouve que c’est un grand mot. Une des caractéristiques de Gbagbo, j’ai remarqué en pratiquement 15 ans, je ne l’ai jamais entendu dire quelque chose de très méchant, même contre les gens qui lui ont fait énormément de mal. Je parle de Ouattara, de Compaoré. Il a parfois l’ironie un peu dure, mais c’est tout. C’est un fait, Compaoré a été chassé, Compaoré a été à un moment donné la plateforme pour l’envahissement de la Côte d’Ivoire. Donc ce n’est pas rien.
Donc il vous parle souvent de Blaise Compaoré ?
Plus maintenant. Non, c’est-à-dire que c’est du passé justement.
Et du Gabonais Ali Bongo, Laurent Gbagbo dit : « Je dérangeais les Français parce que j’étais populaire. Que les Français s’occupent d’Ali Bongo qui n’est rien, même dans son propre pays ». Ce n’est pas gentil…
C’est vrai. Si on tient compte de la réalité des résultats des élections, monsieur Bongo n’est plus là. On le sait. En plus, il est pour Gbagbo l’image caricaturale de l’abandon de toute souveraineté contre un siège doré, des villas et des jets privés. Voilà. C’est pour lui de la caricature et il est emblématique de ce que les chefs d’Etat africains ne doivent pas être et ont été trop longtemps, et continuent parfois d’être. Et il ne veut pas être confondu avec ces gens-là.
Alors théoriquement, la Cour pénale internationale interdit aux gens qui sont dans sa prison de donner des interviews. Est-ce que ce n’est pas une prise de risque de Laurent Gbagbo de vous parler ?
Je ne sais pas. Cela dure depuis 2012. Et on m’avait dit que je ne prendrais pas de notes, qu’il fallait que je note tout mentalement. J’ai emprunté du papier aux gardiens de prison, j’ai emprunté leur stylo. Et j’ai tout noté. Je ne sais pas, je suis retourné après la publication du premier livre et je n’ai eu aucun problème. Et j’y retourne fréquemment.
La dernière fois que vous l’avez vu, quand c’était ?
En octobre.
Au moment des audiences de demande d’acquittement…
Oui, mais il n’y a jamais aucun problème. J’ai même d’excellentes relations avec l’administration pénitentiaire, c’est-à-dire qu’on s’appelle par nos prénoms. Ils me connaissent maintenant. Ce que je dois préciser, c’est que Gbagbo a une image particulière dans la prison. Il a fini, j’allais dire par convaincre par son attitude, son calme. C’est quelqu’un qui est toujours calme. Sa politesse etc. Tous les gardiens qui, au début, j’ai vu la transformation de l’entourage. Ils avaient affaire à quelque chose comme Pol Pot [chef des Khmers rouges]. Au fur et à mesure, ils se sont permis de faire des remarques pour m’accompagner dans les couloirs pour me dire que c’était un « good guy », « un bon garçon ». C’est quelqu’un qui finalement, on dit qu’il roule tout le monde dans la farine, ce n’est pas ça. Ils ont vu que ce n’était pas un violent, ça se voit.
Alors il y a l’administration pénitentiaire, mais de l’autre côté, il y a les juges qui, eux, peuvent peut-être estimer qu’une interview, ce n’est pas très légal ?
Il n’y a jamais eu de réaction, jamais.
Donc Laurent Gbagbo et vous, vous assumez…
Tout à fait. Tout cela se fait de façon très ouverte.
0 Commentaires
Participer à la Discussion