Le discours du Président Français, François Hollande, devant les élus du peuple dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale à l'occasion de sa visite au Sénégal a fait couler beaucoup d'encre. Des réactions à ce discours, s'inscrivant dans une pensée émancipatrice, ont posé la question de nos relations avec la France et le rôle et la responsabilité de nos dirigeants et intellectuels dans l'état de ces rapports. Mieux, elles ont préconisé, avec des arguments certains, une perspective de sortie de l'idéologie France-Afrique ; ce qui est faisable et souhaitable. Cependant, il serait mystificateur de croire, à la lumière de l'évolution de nos relations avec differents pays ces dernières annees, qu'on puisse s'affranchir comme d'un coup de baguette magique des passions et rapports de force qui caractérisent la France-Afrique.
Une analyse du discours de François Hollande permet d'appréhender la teneur de son message en ce qu'elle organise, ordonne et corrobore une domination politique, un rapport de force, une autorité et une hiérarchie. Au dela des vérités que contient son discours, à savoir la responsabilité de la France dans des crimes comme la répression des soldats Sénégalais au camp de Thiaroye et la question de l'Afrique et l'Histoire, c'est son invitation à regarder l'avenir qui captive l'imagination. Et les raisons en sont multiples : elles sont morales, intellectuelles, philosophiques et politiques. Mais peut-on se projeter dans le futur sans invoquer l'histoire ?
Surveiller pour punir : les dispositifs de la France Afrique
Comme l'a montré Michel Foucault, l'expérience du monde est toujours une expérience d'imposition discursive, c'est-à-dire que, dans chaque "monde", les êtres sont marqués par des discours, y compris dans leur corps. Il est aisé alors de comprendre que les tenants de la vieille France-Afrique ne défient les règles établies par leurs maîtres que pour ne pas subir leurs supplices et châtiments car n'ayant ni le courage d'un Kwame Krumah, d'un Mandela, d'un Thomas Sankara, ni celui d'un Samory Touré de Guinée ou de Cheikh Amadou Bamba du Sénégal, pour les affronter. Il est cependant plus difficile de comprendre que la jeune France-Afrique, dominée par certains intellectuels toujours prêts à servir le maître en contrepartie d'une reconnaissance symbolique, ne puisse non plus s'inspirer de ces héros du passé qui sont présents dans l'avenir de l'Afrique. En fait, plus loin que Boris Diop qui a justement montré que le problème de l'Afrique est "ses intellectuels", nous dirons que le problème de l'Afrique est le manque de confiance des intellectuels en eux-mêmes.
Parce qu'encastrés dans des réseaux, ces intellectuels africains de cette "France à fric" s'auto-disciplinent pour assurer leurs carrières professionnelles, n'ayant ni l'audace ou le courage de Cheikh Anta Diop ou de Mongo Betti pour affirmer leur indépendance d'esprit. Mais au fond, peut-il en être autrement ?
Tous élaborent des stratégies de conservation ou de subversion pour se faire distinguer positivement par ceux qui ont le pouvoir politique ou économique, quitte à y perdre leur âme. Ils sont dans des microcosmes que Pierre Bourdieu appelle champs, à travers lesquels ils assimilent les jeux et les enjeux de leur participation au système, de ses règles et de ses méthodes. Comme tous les autres membres du reseau, ils cherchent, chacun, à se doter d'un maximum de capital.
Pour mieux comprendre leurs stratégies en fonction des enjeux, il est important de soumettre les logiques classificatoires de la France-Afrique, à une série de distorsions dont la plus importante est celle de la notion de hiérarchie. On s'aperçoit alors, que c'est bien parce que l'organisation structurale de la France- Afrique est hiérarchisée, à partir du point de vue dominant de la France, qu'elle se révèle productrice de valeur et de non-valeur ou d'antivaleur selon qu'on est avec ou contre ses réseaux.
A côté des dispositifs de surveillance et de punition (Surveiller et Punir), se dessinent des mécanismes psychologiques de veille et de domination. Et parmi ces dispositifs, la plus efficace se trouve celle que Pierre Bourdieu appelle la violence symbolique qui permet de manipuler une bonne partie des glandeurs et grondeurs.
En effet, la violence symbolique agit sur la structure mentale de l'individu, en ce qu'elle constitue "une croyance collective qui permet de maintenir les hiérarchies", selon Bénédicte Kibler. Et sa force réside dans sa capacité à provoquer des demandes pour façonner et véhiculer des mécanismes de domination sur les individus afin qu'ils agissent de facon implicite et non consciente. En cela, un nombre important d'intellectuels perpétuent la France-Afrique sans le savoir.
On en trouve dans les grandes institutions internationales, dans les Universités et les grandes entreprises, articulant des discours qui parfois dénoncent la France-Afrique et souvent, sans le savoir, la défendent. Il en est ainsi de certains qui défendent des politiques de privatisation d'entreprises publiques en Afrique, qui se traduisent souvent par la reprise en main de ces joyaux de nos pays par des entreprise Françaises (cf. la privatisation de la Sonatel au Sénégal). Les exemples sont nombreux où des groupes français en Afrique utilisent certaines personnalités ou membres de sociétés civiles pour pouvoir remplacer leurs concurrents.
Sous ce rapport, la crise de confiance que vivent ces intellectuels africains ne peut être efficacement appréhendée que si l'on situe leurs logiques dans les principes des comportements et des attitudes en relation avec leurs dispositifs cognitifs. Pour lever la violence symbolique, très souvent malheureusement, ce sont les maîtres, les références, ceux qui l'ont mise en place, qui peuvent le faire efficacement.
Il est évident aujourd'hui, qu'une bonne partie de la classe dirigeante de nos pays n'attend, n'écoute et n'entend que les discours provenant de l'ancienne métropole. Combien d'intellectuels, de cadres africains reconnus dans les pays développés sont ignorés par nos dirigeants ? Combien d'entre eux ont suggéré, offert en vain leurs services et compétences pour aider à résoudre les problèmes qui se posent à nos peuples, sans etre entendus ?
Ah la France-Afrique quand tu nous tiens !
Nos dirigeants Africains préfèrent plutôt s'adresser aux "experts" de l'ancienne puissance coloniale. Dans ce contexte, le discours du Président Français pourrait aider une partie de la classe dirigeante de l'Afrique, en demande de reconnaissance, à corriger ce manque de confiance. Son discours permet, ne serait-ce que pour un moment, de marquer la rupture avec ses prédécesseurs et contribue à lever la violence symbolique qui opère dans la structure mentale de cette classe dirigeante.
Cette élite africaine-là qui, de façon consciente ou inconsciente, calculée ou pas, est à la recherche du renforcement sécuritaire des maillons du lien social avec la France, a besoin d'entendre le discours de Hollande.
De ce point de vue et en rapport avec la morale sarkozienne où il y a une tentative de rendre intelligible une certaine image de l'Afrique en produisant d'abord un imaginaire pour ensuite valider son dessein, François Hollande travaille sur l'efficacité symbolique. Son discours, comme tout discours de dominant, n'est pas neutre épistémologiquement.
Comme E.W. Said par rapport à L'Orientalisme, V.Y. Mudimbénous a montré comment l'Europe a "inventé" l'Afrique et comment les anthropologues et missionnaires ont d'abord "inventé" une idée de l'Afrique que le colonialisme détaillera ensuite. Cette identité de L'Afrique étant construite à partir de l'imaginaire, l'Afrique devient l'envers de (de la réalité) l'Europe.
Cette Afrique imaginée (désirée et/ou refoulée) en permanence, constitue le registre dans lequel s'inscrivait le fameux discours de Sarkozy au point où des intellectuels Africains se sont demandé à quelle Afrique et à quelle histoire il faisait référence. En tous cas, pas à cette Afrique (Ethiopie) où se trouve la plus vieille Eglise ! Ni à cette Afrique où se sont créées les premières grandes universités (Tombouctou) ! Encore moins à cette Afrique qui a déclenché la première crise financière - avec le roi Kankan Moussa, qui, lors de son pèlerinage à la Mecque, emportant avec lui une grosse quantité d'or, a entraîné une baisse de son cours au Moyen Orient ! Au fond, les intellectuels africains ont rappelé à Nicolas Sarkozy que non seulement l'Afrique était le berceau de l'humanité, mais aussi que ce continent, depuis l'antiquité, a su établir des échanges judicieux avec le reste du monde.
Certes en invoquant la mondialisation, François Hollande aussi convoque l'imaginaire, mais à la différence de son prédécesseur, il se détache autant des désirs romantiques de ceux qui idolâtrent le continent que de ceux qui cherchent à lui extraire son âme. Et c'est à juste titre qu'il a rappelé le rôle des soldats africains dans les libérations de la France.
Une rupture pour une sortie de cette idéologie a une exigence; celle d'opérer une déconstruction de ces discours comme nous l'a enseigné Derrida. Cette déconstruction, s'appuyant sur une critique et une autocritique, passe à travers un repérage dans les discours sur l'Afrique des présidents français et des intellectuels africains, de ce que Alain Badiou appelle les points de fuite (ou l'espace de fuite); c'est-à-dire des points qui échappant à la règle du dispositif d'imposition.
Quand les glandeurs sont obligés de gronder, et des grondeurs cherchent à glander
Dans le discours de Nicolas Sarkozy, le point de fuite réside dans son ignorance de l'apport de l'Afrique dans toute l'histoire de l'humanité. Chez François Hollande, c'est dans l'ignorance que l'Afrique est partout présente aujourd'hui. Au niveau des intellectuels africains, c'est dans l'ignorance qu'ils ne sont pas un groupe homogène : il y a ceux qui glandent, ceux qui grondent sincèrement et ceux qui grondent pour mieux glander.
Ainsi, ceux qui glandent et une partie de ceux qui grondent, constituent deux faces d'une même réalité qui participe à la pérennisation de la "balkanisation de l'Afrique". La déconstruction, dans ce cas d'espèce, consiste à trouver des voies et moyens pour sortir de l'histoire, l'histoire de la France-Afrique. Ces voies et moyens passent par un développement endogène centré sur des échanges Sud-Sud, une unité africaine, une participation effective dans la production scientifique. Mais tout ceci n'est possible que si l'on a confiance en nous-mêmes.
Ceci dit, sortir de la France-Afrique ne doit pas nous pousser à rentrer dans d'autres "histoires" d'autres réseaux. A nous de trouver nos propres modèles. Nous avons un impératif : concevoir les systèmes d'éducation adaptés pour notre développement. C'est à notre continent de trouver sa propre voie de développement.
La sortie de l'histoire de la France-Afrique est souhaitable et faisable aujourd'hui. L'isolement de l'Afrique aujourd'hui dans le commerce mondial constitue dans une certaine mesure son atout. En effet, au moment où on parle de développement durable, de réchauffement climatique, l'Afrique semble être l'îlot qui préserve l'humanité des folies des hommes. Elle est aussi le seul continent où la crise financière actuelle a eu des effets moindres.
Dans sa tentative d'apporter une valeur ajoutée sociale à la crise économique que subit le monde, elle se doit d'attirer ceux qui peuvent lui apporter une valeur ajoutée économique à la crise sociale qu'elle subit. Pour ce faire, il faudrait que ses dirigeants aient une vision claire du développement et mettent en place de bonnes politiques macro-économiques d'investissements publics afin d'anticiper sur le futur. Ils doivent retourner au Plan de Lagos, s'en inspirer, et dans ce cadre, mettre en œuvre les ajustements nécessaires afin que les besoins de nos peuples puissent être pris en charge. Car, en définitive, c'est cela le plus important.
Si le drame d'une certaine Europe est de penser que l'Afrique, n'étant pas l'Europe, serait à la marge de l'Histoire, le drame d'une certaine intelligentsia africaine est de penser que l'Afrique ne peut pas être par elle-même.
La vieille France a inventé l'Afrique à partir de son imaginaire du progrès et de la modernité, la jeune France cherche à la réinventer à partir de son imaginaire de la francophonie. A la jeune Afrique de se réinventer dans l'imaginaire de la globalisation. C'est la un défi dont elle peut sortir victorieuse.
Dr Mahamadou Lamine Sagna - Sociologue est un auteur renommé a enseigné pendant une dizaine d'année à la prestigieuse Université de Princeton
24 Commentaires
Maghrebines
En Décembre, 2012 (17:28 PM)Kaf
En Décembre, 2012 (17:58 PM)Pfffffffffffffffff !
En Décembre, 2012 (18:01 PM)depuis quand y aurait-il des étrangers dans l'armée française ?
Pendant la 2eme guerre mondiale l'état du Sénégal n'existait pas, et les sénégalais n'existent que depuis 1960.
Pauvre xénophobe aigri : retourne à Princeton où tu ne dois pas avoir beaucoup de contradicteurs !
Abu
En Décembre, 2012 (18:07 PM)Skip
En Novembre, 2023 (17:53 PM)@magrhebine
En Décembre, 2012 (18:11 PM)Iciseelençon
En Décembre, 2012 (18:26 PM)Nos
En Décembre, 2012 (19:03 PM)Je suis doctorant en sociologie et ce Monsieur m'a appris a maitriser le concept de Violence symbolique
EExcellent article
Felicitations
Afro
En Décembre, 2012 (19:08 PM)Excellent article
NB En plus l'analse est juste
Frncais
En Décembre, 2012 (19:13 PM)Bravo
Elle
En Décembre, 2012 (19:41 PM)Le Patriote
En Décembre, 2012 (20:00 PM)Salam et merci encore
Sunuugaal
En Décembre, 2012 (21:04 PM)Bravo Docteur, vous ne me connaissez pas tres bien , mais je vous suis
Wolofou
En Décembre, 2012 (21:15 PM)Il dit "Une analyse du discours de François Hollande permet d'appréhender la teneur de son message en ce qu'elle organise, ordonne et corrobore une domination politique, un rapport de force, une autorité et une hiérarchie." Ou encore quand il dit :"Cette élite africaine-là qui, de façon consciente ou inconsciente, calculée ou pas, est à la recherche du renforcement sécuritaire des maillons du lien social avec la France, a besoin d'entendre le discours de Hollande."
Ca c'est vrai de vrai!
Mdrrrrrr
En Novembre, 2023 (16:31 PM)Team
En Décembre, 2012 (21:39 PM)J'ai une question eut etre que lui ou quelqu'un eut m'eclairer. C'est quoi un point de fuite?
Boms
En Décembre, 2012 (22:03 PM)Big up!
Nyc Usa
En Décembre, 2012 (22:35 PM)Good Bless you
Your Friend from City University of New York
Dieuf
En Décembre, 2012 (22:52 PM)Comme E.W. Said par rapport à L'Orientalisme, V.Y. Mudimbénous a montré comment l'Europe a "inventé" l'Afrique et comment les anthropologues et missionnaires ont d'abord "inventé" une idée de l'Afrique que le colonialisme détaillera ensuite. Cette identité de L'Afrique étant construite à partir de l'imaginaire, l'Afrique devient l'envers de (de la réalité) l'Europe.
Cette Afrique imaginée (désirée et/ou refoulée) en permanence, constitue le registre dans lequel s'inscrivait le fameux discours de Sarkozy au point où des intellectuels Africains se sont demandé à quelle Afrique et à quelle histoire il faisait référence. En tous cas, pas à cette Afrique (Ethiopie) où se trouve la plus vieille Eglise ! Ni à cette Afrique où se sont créées les premières grandes universités (Tombouctou) ! Encore moins à cette Afrique qui a déclenché la première crise financière - avec le roi Kankan Moussa, qui, lors de son pèlerinage à la Mecque, emportant avec lui une grosse quantité d'or, a entraîné une baisse de son cours au Moyen Orient !
Greem
En Décembre, 2012 (23:29 PM)Sofie
En Décembre, 2012 (23:54 PM)Kiki
En Décembre, 2012 (00:09 AM)Gazalon
En Décembre, 2012 (05:33 AM)Minki
En Décembre, 2012 (05:45 AM)Jiggenne
En Décembre, 2012 (10:31 AM)Formidable
En Décembre, 2012 (11:11 AM)Merci
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