Photo : Krubo Kollie retourne au marché de Bo-Waterside, au Liberia, après la réouverture de la frontière terrestre avec la Sierra Leone, pour vendre des fruits pour la première fois depuis l’apparition de l’épidémie d’Ebola.
Le Liberia a levé ses couvre-feux dans l’ensemble du pays et rouvert ses frontières avec la Sierra Leone et la Guinée, ses principaux partenaires commerciaux. Selon les experts, cela va cependant prendre du temps avant que le pays se remette complètement des conséquences économiques de l’épidémie d’Ebola.
« La réouverture de la frontière va avoir un impact immédiat, à la fois en ce qui concerne les moyens de subsistance et l’approvisionnement en produits alimentaires qu’en matière de commerce informel », a dit Errol Graham, économiste de la Banque mondiale pour le Liberia, qui s’est adressé à IRIN depuis la Virginie. « Mais le relèvement sera loin d’être aussi rapide que la crise. La crise a été immédiate à cause de la peur et de l’aversion [suscitées par la maladie]. Le relèvement va en revanche prendre un peu plus de temps. »
Quelques heures après la réouverture de la frontière, les individus et les marchandises ont commencé à affluer d’un pays à l’autre. Les marchés locaux, à nouveau approvisionnés en aliments frais, en viande et en produits ménagers, grouillaient d’activité pour la première fois depuis plus de six mois.
À l’intérieur du Liberia, selon M. Graham, « depuis que la crise s’est calmée, nous voyons aussi des gens reprendre le travail et ils devraient être de plus en plus nombreux au fil du temps. Et à mesure que les étrangers qui travaillaient dans les concessions du secteur des ressources naturelles reviennent, nous nous attendons à une hausse encore plus importante de l’emploi. »
Pourtant, même pour ceux qui ont repris le travail, l’activité reste faible.
« Avant Ebola, je faisais 50 dollars de bénéfices par jour sur mes ventes », a dit Emily Kennedy, vendeuse de boissons dans le comté de Margibi. « Mais depuis l’apparition d’Ebola, je ne fais qu’environ 10 dollars par jour. Les gens ont peur de venir faire des achats. Ils pensent toujours qu’ils vont attraper Ebola. »
Les frontières avaient été fermées fin juillet pour enrayer l’épidémie. Cette fermeture avait pratiquement paralysé les échanges commerciaux transfrontaliers avec le Liberia. Incapables de vendre leurs produits, de nombreuses personnes avaient perdu leur unique source de revenus.
« Lorsque la frontière était fermée, notre économie aussi », a dit Jimmy Keyann, économiste au Liberia. « Rien n’entrait et rien ne sortait. Le pays perdait [des recettes] et la population souffrait. »
Il existe peu de données sur le volume ou la valeur des importations et exportations transfrontalières locales, car une grande partie de ces échanges sont informels et ne sont pas déclarés.
« Les frontières avec la Guinée, la Côte d’Ivoire et la Sierra Leone sont importantes pour le Liberia, principalement pour l’ampleur du commerce informel qui se tient à la frontière entre ces pays », a dit M. Graham. « Il est bien plus facile pour les Libériens [qui vivent le long de la frontière] de se rendre en Sierra Leone, par exemple, que dans une autre ville [du Liberia] comme Monrovia, » a-t-il expliqué. « La nourriture et les biens sont aussi moins chers, car les coûts de transport vers ces marchés sont inférieurs. »
Impact économique
Selon une série d’enquêtes nationales par téléphone mobile menée par la Banque mondiale entre octobre 2014 et janvier 2015, près de la moitié des personnes qui avaient un emploi avant l’épidémie disaient l’avoir perdu au plus tard en décembre, principalement à cause de la fermeture des frontières, des couvre-feux et de la crainte généralisée d’être contaminés par Ebola.
Depuis ce chiffre est retombé à 41 pour cent, mais les travailleurs indépendants, qui composent le secteur informel, comme les commerçants et les agriculteurs, restent les plus touchés.
Le Liberia devrait enregistrer une croissance de trois pour cent cette année, soit moins de la moitié des prévisions précédant Ebola. Selon la Banque mondiale, cela représente un manque à gagner de près de 200 millions de dollars. Le taux de croissance prévu pour 2014 était de 5,9 pour cent. Après le déclenchement de l’épidémie d’Ebola, il est tombé à 2,2 pour cent.
« Nous dépendons du commerce à la frontière pour survivre », a dit Musu Freeman, vendeuse au marché de Bo-Waterside, dans le comté de Grand Cape Mount, frontalier avec la Sierra Leone. « Mais pendant Ebola, tout était paralysé. Pas de commerce, pas d’argent. C’est devenu très difficile pour nous. Nous n’avions même rien à manger. Nos enfants souffraient », a-t-elle relaté.
Maintenant que la frontière est à nouveau ouverte, Mme Freeman peut se remettre à acheter et à vendre ses marchandises en Sierra Leone et elle a commencé à gagner de l’argent pour la première fois depuis des mois.
« Aujourd’hui, je suis une femme heureuse », a-t-elle dit à IRIN. « Quand la frontière était fermée, nous n’avions pas d’autre option. Mais maintenant, nous reprenons nos habitudes et nos vies s’améliorent. Ça va à nouveau mieux pour nous. »
Tandis que les salaires ont chuté, les prix des denrées alimentaires ont monté en flèche, notamment dans les villages frontaliers, dont les habitants étaient obligés de parcourir davantage de kilomètres pour acheter leur nourriture dans les grandes villes. Le prix du riz, par exemple, était 35 pour cent plus élevé en janvier 2015 qu’un an plus tôt, d’après les derniers chiffres de la Banque mondiale.
Soixante-cinq pour cent des foyers interrogés fin janvier ont dit à la Banque mondiale qu’ils n’avaient pas pu acheter suffisamment de riz pour répondre à leurs besoins pendant les deux semaines précédentes. Le manque d’argent était la principale raison citée par plus de 88 pour cent des enquêtés.
« Lorsque le Liberia a été touché par Ebola, mon patron nous a tous dit de rester chez nous », a dit Tina Cooper, 38 ans, employée du ministère de l’Éducation. « Je me suis retrouvée complètement sans argent. Je n’avais jamais un centime pour nourrir ma famille. C’était très dur, [car] je n’avais aucun revenu. »
Mécanismes d’adaptation
En conséquence de ces pertes de salaire et de la hausse du chômage et des prix, selon les données de l’enquête publiée par la Banque mondiale le 24 février, plus de 85 pour cent des familles ont dit avoir été obligées de recourir à des mécanismes d’adaptation néfastes depuis le début de l’épidémie. Ils ont par exemple vendu des biens, abattu du bétail et emprunté de l’argent pour nourrir leur famille.
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