A Adjamé, l’un des principaux marchés d’Abidjan, une femme peut choisir entre un « mari capable » ou un « mari ingrat » tout en surveillant « L’oeil de ma rivale » pour préserver « le lit de mon mari » et son « Jardin d’Éden ».
Une fois le mari choisi, si elle fait preuve de « Jalousie », elle lui dira « Pas de vie à trois », et « Si tu sors, je sors » avec en menace finale: « Si tu divorces, je ne mangerai pas du sable ».
Ces noms sont en fait des sobriquets donnés à des milliers de pagnes colorés aux motifs divers, ces bandes de tissus imprimés d’environ 6 mètres de long avec des motifs africains qui, à l’origine, imitaient le traditionnel « Batik » indonésien.
Les plus vendus et les plus connus de ces pagnes héritent de noms qui se généralisent selon un processus mystérieux propre aux rumeurs ou aux blagues. « On ne sait pas d’où ça vient. Des vendeuses… des clientes… on donne des noms (à ces pagnes) et parfois ça reste », s’amuse Didi Sangaré, vendeuse à Adjamé depuis 15 ans.
« Ça va, ça vient. Quand il y a une novela qui a du succès ou un événement politique, le pagne qui arrive en même temps peut recevoir son nom », explique-t-elle.
Certains pagnes portent ainsi des prénoms d’héroïnes de séries télévisées, mais on trouve aussi « la Voiture de Renato », directement inspirée du nom d’un bellâtre d’un feuilleton latino-américain.
Le « Balai de Guei » a, lui, reçu son nom après le coup d’État de 1999 du général Robert Guei.
– « Pagne est beau, pagne est bon » –
Les motifs à succès deviennent des classiques, mais les autres disparaissent.
En général, ces pagnes servent à confectionner des vêtements, traditionnels ou non. « Chemises, pantalons, robes… des habits mais aussi des sacs, des chaussures, des rideaux, des draps, des nappes… on peut tout faire. Pagne est beau, Pagne est bon », crie Korotoum Ouattara 28 ans.
Leur utilisation est normalement interdite pour des usages non vestimentaires parce que ces tissus ne sont pas ignifugés — l’un des pagnes bon marché à Adjamé s’appelle d’ailleurs « Attention au feu ».
Jadis produit de luxe importé des Pays-Bas et utilisant le procédé de la « wax » (cire), le pagne s’est diversifié en plusieurs qualités de tissus et d’impression, devenant très accessible. Car à mesure que des progrès ont été réalisés en matière d’impression et de fabrication, la production et le nombre de motifs ont augmenté et le prix moyen a baissé.
Depuis le début des années 2000, le marché du pagne, sur lequel la Côte d’Ivoire est un pays phare, s’est étendu et a vu l’arrivée de concurrents venus d’Asie. Au marché d’Adjamé comme partout sur le continent africain, on trouve des pagnes importés de Chine ou de Thaïlande.
Pour les clients les moins fortunés, ces produits vendus entre 2.000 et 6.000 F CFA (entre 3 et 10 euros) sont bien plus abordables que les pagnes des grandes marques, qui coûtent au bas mot 12.000 F CFA (18 euros) et jusqu’à 15.000 F CFA (23 euros).
« Ceux qui achètent les pagnes de Chine, c’est les pauvres (…) ça dépend des moyens. Tout le monde ne peut pas se payer un Hollandais (pagne haut de gamme) », explique Awa Koné, vendeuse de pagnes.
– « Créer plus vite que le copieur » –
« Notre principal concurrent, c’est la contrefaçon et la fraude », assure Jean-Louis Menudier, le PDG d’Uniwax, filiale du groupe néerlandais Vlisco et leader du pagne.
« Les produits de nos concurrents sont fabriqués en Asie, principalement en Chine. Ils rentrent quasi exclusivement en fraude (en contrebande et en échappant donc à toute taxe) sur le continent africain et une bonne partie d’entre eux sont des contrefaçons de nos dessins », dit M. Menudier.
« Ça a mis énormément en danger l’activité entre 2004 et 2006. On a mis en place une stratégie de créativité, de marketing, de distribution et de production qui nous permet de lutter efficacement contre ces phénomènes », explique-t-il. « En gros, on crée maintenant plus vite que le copieur ne copie ». Sans doute le PDG s’est-il inspiré du pagne « Je cours plus vite que ma rivale »…
Un cabinet de création de motifs a été mis en place dans l’usine du groupe à Abidjan et Uniwax multiplie les productions de séries courtes: « un pagne n’est disponible que quelques semaines », souligne le PDG, qui dit réussir désormais à faire face à la concurrence des produits contrefaits.
En 2015, Uniwax a été très rentable, dégageant un bénéfice net de 4 milliards de F CFA (6 millions d’euros) pour un chiffre d’affaires de 36 milliards de F CFA (55 millions d’euros), ce qui représente une confortable marge (11% net).
L’entreprise, qui emploie 750 personnes, a ainsi pu lever début septembre 15 millions d’euros sur les marchés boursiers pour financer un plan d’investissement visant à augmenter la production de 70% sur 5 ans.
Elle profite d’un marché en pleine expansion: le pagne intéresse désormais les artisans sur les marchés mais aussi des créateurs de mode, des accessoiristes ainsi que le monde du prêt-à-porter. Et les imprimés et couleurs africains commencent à attirer la clientèle européenne et américaine.
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