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Afrique

Coronavirus : les chercheurs africains veulent se faire une place dans le club fermé de la recherche mondiale

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Des techniciens de laboratoires produisent du gel pour les mains à l'université Mount Kenya, à Nairobi, le 25 mars 2020.
Encore à l’écart de la recherche clinique menée à l’échelle mondiale pour percer les mystères du Covid-19 afin d’y trouver un remède et un vaccin, les chercheurs africains sont prêts à en découdre pour s’y imposer.

« Si vous ne faites pas partie du club, c’est fini pour vous ! » Ce club, qu’évoque le pneumologue kényan Evans Amuyoke, c’est le monde de la recherche scientifique sur le plan international. Et sur le continent africain, plus qu’ailleurs, financer ses recherches est difficile, raconte ce membre de l’Institut kényan de recherche médicale.

« Les budgets pour mener une recherche clinique sont extrêmement élevés, et nous recevons très peu de fonds locaux. Même si nous avons nos propres solutions, elles ne seront jamais appliquées : vous les retrouverez en train de traîner dans un livre, quelque part, parce que personne ne peut les mener jusqu’au bout. » Une situation qui explique que des maladies endémiques en Afrique restent, à ce jour, négligées par la recherche.

    "Il est important que nous ne soyons pas juste les consommateurs du savoir"

Pourtant, Evans Amuyoke espère bien que l’Afrique finira par « s’asseoir à la table des discussions » de la recherche sur le Covid-19. « Il est important que nous ne soyons pas juste les consommateurs du savoir, mais que nous intégrions le groupe qui crée ce savoir ».

Le Kényan est l’un des signataires de la Coalition pour la recherche clinique sur le Covid-19 qui soutient les pays aux systèmes de santé les plus fragiles, en favorisant notamment les contacts entre chercheurs et institutions. Selon l’organisation de recherche contractuelle Cytel, sur les 590 essais cliniques mondiaux sur le Covid-19, seule une petite dizaine sont réalisés en Afrique.
Solidarity

En mars dernier, l’Organisation mondiale de la santé lançait Solidarity, un essai clinique mondial faisant appel à la collaboration des États.

    "C’est une chose d’avoir un vaccin efficace, c’en est une autre d’en avoir un qui soit produit en quantité suffisante pour tout le monde"

Les médecins qui prennent en charge une personne hospitalisée en lien avec le coronavirus peuvent lui proposer de collaborer et de tester l’un des quatre traitements suivants : le Remdesivir (un antiviral conçu pour Ebola) – malgré les résultats peu concluants des premiers essais cliniques réalisés par la firme américaine Gilead Sciences -, deux combinaisons différentes d’antirétroviraux contre le VIH, et enfin l’hydroxychloroquine, habituellement utilisée contre le paludisme.

En Afrique, une vingtaine de pays pourraient participer, selon Michel Yao, responsable régional des opérations d’urgence de l’OMS. L’Afrique du Sud est la plus avancée d’entre eux. « Plus on teste, et plus on teste dans des contextes différents, plus les données collectées sont robustes », détaille le spécialiste.

Le même principe est appliqué à l’essai Solidarity 2, centré sur les vaccins. Actuellement, une soixantaine de vaccins sont en phase préclinique dans le monde. Trois pays ont déjà débuté les essais : la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni. En Afrique, plusieurs pays pourraient tester eux aussi, dans une seconde phase, ces vaccins.

Qui en seront les bénéficiaires ? « Nous voulons éviter la situation de la pandémie de grippe aviaire, pour laquelle le vaccin était disponible essentiellement pour les pays du Nord », détaille Richard Mihigo, le coordinateur du programme d’immunisation et vaccination de l’organisation. « Il faut que le vaccin reste abordable et qu’il soit financé pour les pays en développement. C’est une chose d’avoir un vaccin efficace, c’en est une autre d’en avoir un qui soit produit en quantité suffisante pour tout le monde. »

Remèdes « made in Africa »

En attendant le vaccin, les États africains expérimentent. La plupart d’entre eux, à l’instar du Sénégal, du Burkina Faso ou du Maroc, ont fait le choix de la chloroquine, « remède miracle » défendu par le Français Didier Raoult, dont les travaux divisent le monde scientifique.

Au Sénégal, le professeur Moussa Seydi, qui a tenté cette option dès le mois de mars, évoque de « bons résultats [toujours en cours d’analyse] avec peu d’effets secondaires ». À Madagascar, le président Andry Rajoelina a officiellement lancé le 20 avril son remède contre le virus à base de plantes traditionnelles.

D’autres remèdes 100% africains, moins connus, sont également utilisés sur le continent. C’est le cas de la fagaricine, du Gabonais Bruno Eto, qui pourrait renforcer les défenses immunitaires des malades, ou encore de l’apivirine, du Béninois Valentin Agon, utilisée contre le paludisme. Pourraient-ils constituer une manière de lutter contre le virus ? Ce 21 avril, le Conseil des diasporas africaines de France lançait justement un appel visant à « mettre en exergue » les « solutions que l’Afrique a à proposer au monde ».

« À partir du moment où des solutions existent, nous ne comprenons pas pourquoi l’OMS ne les teste pas de façon contradictoire et scientifique de manière à évaluer leur efficacité au niveau mondial”, s’étonne le président du Conseil, Serge Bakoa. L’avocat dit en particulier attendre avec impatience les résultats de l’essai clinique lancé au Burkina Faso sur l’apirivine.

Période exceptionnelle oblige : médecins et chercheurs gagnent en notoriété, pour le meilleur et pour le pire. Car, tandis que le monde entier s’emballe pour la recherche, de nombreux experts s’inquiètent du respect du principe de rigueur scientifique. « Seul l’essai clinique mené dans des conditions rigoureuses peut permettre d’évaluer l’efficacité d’un médicament, avertit le docteur en santé publique Jean-Philippe Chippaux, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). L’essai clinique n’est pas fait pour le bénéfice du patient qui y participe ! C’est un outil méthodologique qui sert à répondre à une question scientifique simple : ça marche, ou ça ne marche pas ? »

Les essais cliniques restent néanmoins soumis à des règles strictes, édictées par des textes internationaux, censées protéger les malades. Certains laboratoires pharmaceutiques se sont pourtant affranchis de ces règles de déontologie. Des dérives donnant lieu à plusieurs scandales sanitaires qui ont laissé de – très – mauvais souvenirs de la recherche sur le continent.

Le docteur Jean-Philippe Chippaux a longtemps travaillé en Afrique. Il fait état de nettes améliorations sur le continent ces vingt dernières années : adaptation de l’appareil législatif, amélioration des infrastructures, formation des chercheurs, et, surtout, renforcement des comités d’éthique nationaux, qui émettent un avis sur l’ensemble des essais cliniques. « Les membres de ces comités ont été formés pour mieux juger de la valeur des protocoles [documents détaillant le projet et le cadre d’un essai clinique] qu’on leur soumettait », fait-il savoir.
Un hôpital d'Alger, le 26 février 202, où plusieurs patients sont venus se faire tester après avoir été en contact avec le premier cas détecté dans le pays, le 17 février.
De quoi se prémunir contre un nouveau scandale sanitaire ? « On n’empêchera jamais ce genre de scandale, qui n’est d’ailleurs pas propre à l’Afrique… Mais il y en a de moins en moins », répond le chercheur. À charge pour les comités d’éthique nationaux d’exercer leur fonction de vigie et de s’assurer que les protocoles soumis aux autorités respectent les malades.

Réaliser plus d’essais cliniques sur le continent serait donc une bonne chose, « à condition que la recherche clinique soit justifiée par les besoins des populations. L’une des voies, c’est d’évaluer l’adaptation que l’on peut faire d’un traitement dans les conditions africaines. Et ça ne peut pas se faire ailleurs qu’en Afrique », souligne Jean-Philippe Chippaux.

Polémique

C’est cette idée que souhaitait défendre le microbiologiste Camille Locht lors de son passage sur la chaîne française LCI le 2 avril dernier, justifie-t-il aujourd’hui à Jeune Afrique.

Dans une courte vidéo devenue virale, il répond par l’affirmative à la question du médecin Jean-Paul Mira, qui lui demande si son étude sur l’utilisation du vaccin antituberculeux BCG contre le Covid-19 « ne devrait pas [se] faire en Afrique », « un peu comme c’est fait pour certaines études sur le sida [avec] les prostituées ». Une question « maladroite en termes de formulation », estime aujourd’hui Camille Locht, qui a provoqué une onde de choc sur le continent dont les effets se font encore sentir.

« Mes propos n’ont eu aucune connotation raciste », se défend aujourd’hui le chercheur. L’échange aura néanmoins valu aux deux spécialistes tribunes de protestation, pétitions et plaintes pour injures raciales.

    "Des études épidémiologiques suggèrent que les pays les plus vaccinés avec le BCG sont mieux protégés contre le virus"

En France, l’étude de Camille Locht devrait en tout cas être lancée prochainement. L’essai doit inclure 1 200 personnes, divisées en deux groupes, l’un recevant le BCG et l’autre un placebo. À la fin de l’étude, les chercheurs comptent le nombre de Covid-19 dans les deux groupes.

« L’étude va nous dire si le vaccin est capable de diminuer la fréquence du Covid et la sévérité de la maladie », explique Camille Locht. Si rien n’est encore avéré, « des études épidémiologiques suggèrent que les pays les plus vaccinés [avec le BCG] sont mieux protégés [contre le coronavirus] », glisse le chercheur. « On ne peut rien affirmer, mais c’est tout de même intrigant. »

    "Nous étions bien partis pour faire quelque chose en Afrique, mais aujourd’hui on préfère attendre que les choses se calment"

L’Afrique, où le taux de vaccination contre la tuberculose est de 85% environ, selon l’OMS, bénéficie-t-elle de ce fait d’une plus grande protection contre le coronavirus ? C’est une hypothèse. Quoi qu’il en soit, « faire une étude en Afrique a parfaitement son sens », précise Camille Locht, d’autant plus que « la revaccination n’est pas dangereuse ».

Depuis la polémique, les chercheurs africains qui avaient manifesté leur intérêt se sont toutefois mis en retrait. « Des initiatives de collaboration ont pris du retard », admet le chercheur.

« Cet épisode a tout plombé », lâche, avec moins de précautions, l’immunologue sénégalais Tandhaka Dieye. Chef de la plateforme d’immunologie à l’Institut de recherche en santé de surveillance épidémiologique et de formation (Iressef) au Sénégal, il était l’un des chercheurs intéressés par l’essai clinique du BCG.

« Nous étions bien partis pour faire quelque chose en Afrique, mais aujourd’hui on préfère attendre que les choses se calment. Parler de l’étude risque de heurter l’opinion publique, voire le comité d’éthique », estime le Sénégalais, également membre de l’Observatoire Covid-19 du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
La Croix Rouge sénégalaise lors d'une campagne de prévention contre le coronavirus dans la capitale Dakar, le 18 avril 2020.
Dans le cadre des essais pratiqués actuellement au Sénégal – sans rapport avec le Covid-19 -, « les gens commencent à se poser des questions », confie l’immunologue. Pourtant, rappelle-t-il, aucun des essais cliniques au Sénégal ne se fait sans l’aval du comité d’éthique national, dont il loue « l’indépendance » et la « grande prudence ».

En attendant que la polémique retombe, le chercheur garde un oeil sur l’avancée des essais vaccinaux dans le monde, et espère encore voir l’Afrique y participer. Dans son propre pays, il se félicite de voir l’État s’intéresser au travail de la science. « Je n’ai jamais vu un engouement pareil pour la recherche dans mon pays. Ils ont investi de l’argent pour le Covid-19 ; à présent j’espère qu’ils vont continuer comme ça chaque année. »


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