Nées au Congo belge dans les années 1940 et arrachées à leur mère, puis abandonnées aux violences des milices, cinq femmes métisses se sont engagées dans une action contre l’État belge pour crimes contre l’humanité.
Elles s'appellent Noëlle, Simone, Léa, Monique et Marie-José. Toutes sont grand-mères aujourd’hui et partagent la même histoire. Ces cinq femmes sont nées de mères congolaises noires et de pères colons belges blancs, à la fin des années 1940 dans la région du Kasaï, au Congo belge, devenu République démocratique du Congo (RDC). Un statut de “métisse”, qui leur a valu d’être arrachées à leur mère à partir de 2 ans et placées à l’isolement par l’État belge dans l’institution des sœurs de Saint-Vincent de Paul à Katende, dans le sud du pays.
“Ce sont des rapts d’enfants qui ont été organisés par l’État belge et mis en œuvre avec le concours de l’Église”, accusent ces femmes, quatre Belges et une Française, âgées aujourd’hui de 70 à 74 ans. Pendant la période coloniale, comme elles, des milliers d’enfants ont été placées par l’administration belge dès leur plus jeune âge dans une mission catholique au Congo, au Rwanda et au Burundi. Un certain nombre sera évacué vers la Belgique après les indépendances au début des années 1960, mais ce ne fut pas le cas de ces cinq femmes.
En 1961, en pleine guerre civile au Kasaï, les religieuses de l’internat de Katende sont rapatriées en urgence. Les cinq jeunes filles n’auront pas cette chance. Elles sont abandonnées sur place avec de plus jeunes enfants sur les bras, dont des nourrissons. Livrées à leur propre sort dans un climat de violences, elles font l'objet “de sévices sexuels” quotidiens de la part de miliciens congolais. “La vie de ces femmes a été détruite”, plaide Maître Michèle Hirsch, l’une des avocates qui porte l’affaire en justice. “L’enlèvement systématique d’enfants pour des raisons raciales constitue un crime contre l’humanité”, assène-t-elle.
“Mes clientes font preuve d’un grand courage. Pour la plupart, c’est la première fois qu’elles racontent leur véritable histoire”, explique Me Hirsch contactée par France 24.
Soixante ans plus tard, les cinq femmes ont décidé de ne plus se taire. Une première étape de leur procédure judiciaire débute, jeudi 10 septembre, par une audience préliminaire, avant des conclusions de l’avocat de l’État belge attendues pour décembre.
Une somme provisionnelle de 50 000 euros demandée
"Pourquoi l’État est-il venu nous chercher ? On avait nos mamans, on avait nos familles, qui étaient très bien. Pourquoi il est venu nous retirer ?", se questionne Monique Bitu, l’une des cinq plaignantes interrogée par la RTBF.
"Quand tu commets un crime, on t’arrête, non ? Car tu dois réparer, et d’ailleurs tu le fais. Ici, c’est pareil : c’est un crime et il faut le réparer”, ajoute Léa Tavares, une autre de ces femmes.
Estimant que ces femmes métisses ont été victimes d’un système “institutionnalisé”, via notamment des “réglementations raciales officielles” prises par l’État, Me Hirsch réclame le paiement d'une somme provisionnelle de 50 000 euros à chacune des plaignantes et la désignation d’un expert chargé d’évaluer le préjudice moral subi.
L’avocate le reconnaît : cette action en justice revêt avant-tout une portée symbolique. “Le but n’est pas de rendre une justice individuelle, mais de nommer le crime et de demander réparation”, affirme-t-elle. “L’État belge s’est largement enrichi durant la colonisation grâce au travail forcé des gens dans les colonies. Aujourd'hui, qu’est-ce qui l’empêche de reconnaître les crimes commis et de dédommager l’ensemble des victimes ?”
Recouvrement de la nationalité belge, accès au nom du géniteur
Des progrès ont été faits depuis quelques années. En avril 2019, la Belgique, par la voix de son Premier ministre d’alors, Charles Michel, a présenté ses excuses pour les injustices et les souffrances endurées par ces enfants métis placés de force à l’écart de la population. “Le pardon ne suffit pas, il faut que l’État répare. Moralement et matériellement, les deux !", réagit Léa Tavares.
Ce n’est pas l’avis de tous ces enfants métis. François Milliex, le président de Métis de Belgique, se félicite de la déclaration de l’ancien Premier ministre belge, arrachée après des années de lobbying de la part de son association. “Je suis d’accord, le combat ne s’arrête pas là. Nous demandons aussi réparation, mais plutôt d'ordre administrative et morale, avec le recouvrement de la nationalité belge, l’accès au nom de notre géniteur, à notre véritable identité et notre date de naissance” explique-t-il, interrogé par France 24.
“Pour qu’il y ait un action, il faut d’abord que la Belgique reconnaisse la ségrégation, c’est un premier pas”, estime-t-il, même s'il reconnait qu'il faut agir vite, afin que les enfants métis d'hier, aujourd'hui grands-parents, puissent se sentir entendus de leur vivant.
Lui-même est né au Rwanda, d’une mère noire travaillant au service d’un colon blanc. Il a été élevé dans un internat de Save, à proximité de la capitale Kigali. Contrairement à de nombreux enfants enlevés à leurs parents, il a eu la chance d’avoir un père qui avait accepté de le reconnaître. C’est pour ses camarades de classe qu’il a décidé de fonder Métis de Belgique, afin de les accompagner dans la reconnaissance de la ségrégation subie et la quête de leur passé.
Selon Métis de Belgique, entre 14 000 et 20 000 enfants sont nés au Burundi, au Rwanda et en RDC d'un père colon et d'une mère indigène.
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