Bousculé par l’opposition lors de la dernière présidentielle et régulièrement critiqué pour son immobilisme, le RDPC veut faire sa mue. Mais les bonnes intentions se heurtent à la résistance de caciques peu enclins à prendre leur retraite.
Le 10 février dernier, Paul Biya n’a pas dérogé à la tradition qui veut que soit introduite, dans son traditionnel discours à la jeunesse, une petite phrase qui en dit long. Dans une allocution aux allures de testament politique, le président camerounais, aujourd’hui âgé de 88 ans, a évoqué l’hypothèse d’une « transition générationnelle », à laquelle ses jeunes compatriotes devraient se préparer en intégrant diverses instances de la sphère publique.
La « petite phrase » de Paul Biya n’est pas passée inaperçue. Aussitôt prononcée, elle a été analysée, commentée, disséquée, et très largement reprise dans la presse locale, certains y voyant même un message – voire un avertissement – du chef de l’État à ses plus fidèles collaborateurs, ceux dont la loyauté et l’obéissance lui permettent de gouverner en toute quiétude ou presque depuis plus de 38 ans.
À la croisée des chemins
Depuis, l’ensemble de la classe politique est dans l’expectative. D’autant que le président a réveillé le cœur de sa machine politique, le comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Sous la houlette du secrétaire général du parti, Jean Nkuete, 77 ans, le comité central s’active pour préparer un grand congrès, annoncé pour cette année. Un événement censé avoir lieu tous les cinq ans mais qui ne s’est plus tenu depuis dix ans.
Passé un cycle électoral tumultueux, qui a vu l’irruption sur le devant de la scène du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto et la relégation au second plan des partis d’opposition traditionnels dont le pouvoir avait appris à s’accommoder, le RDPC est à la croisée des chemins. Bien qu’ultra majoritaire dans toutes les institutions, il a pris conscience de la nécessité de se rebâtir un socle politique. Il sait aussi qu’il va devoir gagner en efficacité et se défaire de certains de ses très nombreux organes créées le plus souvent à des fins électoralistes et qui sont autant de coquilles vides, qui ne disposent ni de militants ni de responsables identifiés et identifiables.
Le président camerounais Paul Biya à l’ONU, New York, le 22 septembre 2017.
Surtout, le RDPC est à l’image du reste de l’élite polico-administrative du pays : vieillissant et de moins en moins en phase avec la population. « Comme dans toutes les organisations similaires, le manque de jeunes aux postes les plus importants tient à deux choses : à la longévité des dépositaires du pouvoir et à l’absence d’alternance, résume le politologue camerounais Moussa Njoya. Ceux que l’on trouve aujourd’hui âgés sont arrivés aux affaires lorsqu’ils étaient assez jeunes, c’est d’ailleurs le cas du président de la République lui-même. Mais une fois établis dans la haute administration, ils ont préféré sauvegarder leurs intérêts. Et c’est du coté de l’opposition que les jeunes sont désormais la principale ressource. Il n’y a qu’à voir ceux qui entourent Maurice Kamto au MRC, de Mamadou Mota à Bibou Nissack. »
Un rajeunissement des instances du parti s’impose donc, et cela passe notamment par le remplacement des membres du bureau politique et du comité central décédés dont le siège est resté vacant.
UN PROCESSUS DE « NETTOYAGE » COMPLET DU PARTI
Le 9 mars, Jean Nkuete a réuni au siège du parti les membres du dispositif qui va devoir procéder à un « nettoyage » complet du parti. Cette opération, dont la première phase a officiellement débuté le 13 mars et durera jusqu’au 13 avril, consiste à établir la cartographie réelle des organes de base. Suivra ensuite le renouvellement de leurs dirigeants. « Ces étapes sont la condition sine qua non de la tenue du congrès », insiste Christophe Mien Zock, le directeur des organes de presse du RDPC.
Immobilisme et statu quo
Les dirigeants du RDPC lors d’un rassemblement électoral de soutien au président Paul Biya devant l’hôtel de ville de Yaoundé, le 5 octobre 2018.
Le RDPC pourra-t-il réussir sa mue ? La question taraude les esprits tant cette formation semble reposer sur un terreau propice à l’immobilisme et au statu quo. La plupart n’ont pas oublié qu’après sa réélection à la magistrature suprême, en octobre 2018, Paul Biya avait déjà lancé un appel similaire à la jeunesse en affirmant avoir « compris [son] aspiration profonde à des changements ». « J’en tiendrai compte en ayant à l’esprit que le Cameroun de demain se fera avec vous », assurait-il à cette occasion.
L’ABSENCE DES JEUNES AUX POSTES CLÉS LAISSE UN GOÛT D’INACHEVÉ
Trois ans plus tard, la volonté affichée par le président tarde à se concrétiser et se heurte à des résistances au sein de son propre camp. Malgré son appel à veiller à ce que les jeunes soient bien représentés lors des investitures pour les élections législatives de février 2020, la carte politique du RDPC au Parlement affiche toujours une moyenne d’âge très largement supérieure à celle du pays, qui se situe autour de 19 ans.
Et si Paul Biya estime que « de nombreux jeunes ont intégré les diverses instances parlementaires, municipales et régionales », leur absence aux postes clés laisse un goût d’inachevé. À titre d’illustration, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Cavayé Yeguié Djibril et Marcel Niat Njifenji, ont respectivement 81 et 86 ans. Le premier est en poste depuis près de 29 ans et la santé du second est si fragile qu’il est fréquemment soigné à l’étranger et que Yaoundé n’exclut pas de devoir le remplacer. Et pas un de leurs vice-présidents n’est âgé de moins de 60 ans.
Lors des élections régionales de décembre 2020 pour lesquelles le RDPC partait favori dans neuf régions sur dix, les rudes empoignades qui ont précédé la désignation des candidats ont essentiellement mis aux prises de vieux briscards de la politique ou de l’administration. Résultat des courses, aucun président de région étiqueté RDPC n’a moins de 65 ans.
« L’absence des jeunes dans les arcanes du RDPC doit tout de même être relativisée, explique Moussa Njoya. Lorsque l’on regarde les exécutifs communaux de la plupart des villes, on peut constater qu’il y a de nombreux jeunes. À Douala par exemple, l’un des adjoints au maire à 34 ans. Dans le grand Nord, un certain nombre de députés ont entre 32 et 40 ans. À Yaoundé, le 6e arrondissement est dirigé par un jeune, Yoki Onana [43 ans] ; c’est aussi le cas du 2e, avec Yannick Ayissi [39 ans]. Et il important de préciser qu’ils ne sont pas là par la seule volonté des vieux ! » Et de conclure : « L’équation à résoudre, c’est l’addition des générations. De toute façon, la transition va se faire, c’est dans l’ordre naturel des choses, et cela viendra de la base. »
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