Acquitté par la CPI le 31 mars dernier, Laurent Gbagbo s’apprête à rentrer au pays. Les principaux acteurs de la politique ivoirienne ont-ils pour autant tiré les leçons du passé ?
Laurent Gbagbo a donc été, le 31 mars, définitivement acquitté par la Cour pénale internationale (CPI) de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Dix ans après avoir été envoyé au Penitentiaire Inrichting Haaglanden de Scheveningen (Pays-Bas), réservé aux génocidaires, satrapes sanguinaires et autres chefs de guerre sans foi ni loi.
Un verdict qui s’impose à tous, sauf aux trois mille victimes de la crise postélectorale de 2010-2011, qui doivent se demander à quoi sert cette CPI sans policiers ni experts, et dont les procureurs flirtent souvent avec l’amateurisme. Pas de preuves, pas de coupables, ni dans un camp ni dans l’autre, malgré les millions d’euros dépensés et toutes les années qu’il a fallu pour qu’un verdict soit prononcé.
Amnésie
Doit-on pour autant en déduire que les atrocités commises au lendemain du refus de Gbagbo de reconnaître les résultats de la présidentielle n’ont pas existé ? Que les tirs à l’arme lourde sur un marché ou sur une manifestation de femmes, les exécutions sommaires, les enlèvements ou la traque organisée de militants n’étaient qu’une vue de l’esprit ? Que le revirement politique actuel, qui voit les principaux protagonistes de ce drame tenter d’entraîner tout un pays dans l’amnésie au nom d’une réconciliation de façade, n’est pas un énième et cynique calcul politicien dont la Côte d’Ivoire a le secret ? Dix ans plus tard, en tout cas, elle n’a guère avancé sur le chemin de la vérité, ni, a fortiori, sur celui de la justice.
NE MANQUENT PLUS QUE LE TAPIS ROUGE ET LA GARDE D’HONNEUR SUR LE TARMAC
Indemnités
Gbagbo et Charles Blé Goudé, son ancien « ministre » de la Jeunesse, sont désormais « libres de rentrer quand ils le souhaitent ». C’est ce qu’a indiqué, une semaine après l’annonce du verdict, le chef de l’État, Alassane Ouattara, précisant que les frais de voyage de l’ancien président, ainsi que ceux de sa famille, seront à la charge de l’État et que « des dispositions seront prises pour que Laurent Gbagbo bénéficie, conformément aux textes en vigueur, des avantages et indemnités dus aux anciens présidents de la République ». Ne manquent plus que le tapis rouge et la garde d’honneur sur le tarmac.
IL Y A DIX ANS, BÉDIÉ SE DÉLECTAIT DE VOIR GBAGBO DANS LES GEÔLES DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE
Interrogé sur la condamnation de Gbagbo, en 2019, par la justice ivoirienne à vingt ans de réclusion et à une amende de 329 milliards de F CFA [environ 500 millions d’euros] dans l’affaire du « braquage de la BCEAO » et sur ses conséquences concrètes, Amadou Coulibaly, le nouveau porte-parole du gouvernement, a botté en touche, s’en tenant au sésame accordé par le chef de l’État. Ce qui signifie, si l’on va au bout du raisonnement, qu’il faut s’attendre à une grâce présidentielle, voire à une amnistie.
Sarabande infernale
« Je me réjouis […] de l’acquittement définitif du président Laurent Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé, a déclaré de son côté le « nouveau » leader de l’opposition, Henri Konan Bédié, à l’occasion du 75e anniversaire du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Je souhaite que le gouvernement prenne toutes les dispositions nécessaires pour favoriser leur retour en Côte d’Ivoire dans les meilleurs délais et dans des conditions sécurisées. » Il y a dix ans, il se délectait de voir l’ex-chef de l’État dans les geôles de la CPI. Allez comprendre…
À l’intention de ceux qui auraient déjà oublié tout ou partie de cette sarabande infernale qu’exécutent Gbagbo, Bédié et Ouattara depuis près de trente ans, ou pour ceux qui observent la Côte d’Ivoire de loin, résumons-en les principaux épisodes. Le passé éclaire l’avenir, dit-on.
EN 1992, GBAGBO EST INCARCÉRÉ HUIT MOIS DURANT. IL NE L’OUBLIERA JAMAIS
Les prémices de l’affrontement remontent au début des années 1990. Ouattara, alors Premier ministre d’Houphouët, et Bédié, président de l’Assemblée nationale, unissent une première fois leurs forces pour faire barrage à Gbagbo, seul véritable opposant au « Vieux ». En février 1992, à l’issue d’une manifestation durement réprimée, Gbagbo est arrêté et incarcéré huit mois durant. Il ne l’oubliera jamais.
En 1993, la mort d’Houphouët provoque un nouveau duel, entre Bédié et Ouattara cette fois. Le premier accède à la présidence?; le second doit s’effacer, mais emmène nombre de cadres du PDCI. Gbagbo attend son heure et se rapproche de Ouattara, avec lequel il crée un improbable Front républicain. Leurs partis respectifs boycottent le scrutin présidentiel de 1995 et applaudissent à l’unisson le putsch de 1999, qui balaie Bédié et porte le général Robert Gueï à la tête d’une junte.
Plat de lentilles
Le Front républicain ne résiste pas longtemps à la disparition politique de l’ennemi commun. L’élection de 2000, dont Ouattara et Bédié sont exclus, est remportée par Gbagbo. La rupture avec Ouattara, sur fond de douteuses polémiques quant à son « ivoirité », est consommée.
En septembre 2002, une tentative de coup d’État contre Gbagbo attise un peu plus les haines. Trois ans plus tard, Bédié et Ouattara, que l’on pensait irréconciliables, concluent un pacte. À la présidentielle de 2010, Ouattara l’emporte, grâce notamment au ralliement de Bédié, que Gbagbo compare à Esaü, ce personnage de la Genèse, petit-fils d’Abraham, qui vendit son droit d’aînesse contre un plat de lentilles.
AUJOURD’HUI, BÉDIÉ A POUR GBAGBO LES YEUX DE CHIMÈNE
Aujourd’hui, les danseurs ont une nouvelle fois changé de partenaire, mais la folle sarabande continue. Le Sphinx de Daoukro a les yeux de Chimène pour « Laurent », qu’il vouait jadis aux gémonies. Tout comme Guillaume Soro, le Janus ivoirien : Mahatma Gandhi le jour, Machiavel la nuit, l’ancien apôtre de Ouattara est devenu un disciple de Bédié et du « camarade » Laurent, qui ne le porte pourtant guère dans son cœur.
« Mon frère », « mon fils », « mon aîné »
L’inextinguible soif de pouvoir des uns et des autres justifie tous les revirements, même si chacun prend soin de revêtir ses petites trahisons des oripeaux de la « réconciliation », du « pardon » ou de l’« humanisme ». On appelle « mon frère », « mon fils » ou « mon aîné » celui que l’on traitait hier encore de voyou, de voleur ou d’assassin.
Comme il se doit, les troupes suivent le mouvement les yeux fermés, espérant glaner quelques miettes de pouvoir. Dans la classe politique, l’amnésie et le cynisme sont décidément les vertus les mieux partagées. Les Ivoiriens, eux, rêvent d’une vraie réconciliation. Le pardon, dit le proverbe, ne change pas le passé, il élargit les horizons du futur. Il est indispensable pour avancer. Ce n’est cependant pas une raison pour oublier ou travestir l’histoire. Et pour reproduire les mêmes erreurs.
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