L’école africaine réinventée (1). Depuis 2016, l’enseignement secondaire a pour objectif de former des « créateurs » plutôt que des « demandeurs » d’emploi.
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Dans la salle de classe, les pupitres de bois ont été poussés contre les murs et les élèves, assis en groupes, froncent les sourcils, concentrés sur leurs calculs. Elias Hagenimana arpente la salle, blouse blanche impeccable. Il glisse une explication par-ci, un coup d’œil par-là, pointe une erreur au passage, avant de reprendre la main d’une question lancée à la cantonade : « Un budget, c’est quoi ? » A l’étroit dans son uniforme vert et beige, une jeune fille avance timidement sa définition : « C’est élaborer un plan. » Son voisin complète : « C’est connaître ses revenus et ses dépenses. »
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Dans ce lycée du district de Rwamagana, à 50 km à l’est de Kigali, l’entrepreneuriat est enseigné au même titre que la géographie ou les mathématiques. Rien d’étonnant au Rwanda, où, depuis 2016, le programme scolaire est basé sur les compétences pratiques pour préparer les élèves du secondaire à la réalité du monde du travail et leur donner les outils pour être des « créateurs d’emploi » plutôt que des « demandeurs d’emploi ». Un concept cher au président Paul Kagame, qui a fait de l’éducation l’un des piliers de son programme de développement et de transition vers une « économie fondée sur la connaissance ».
Créativité et esprit critique
Pour accompagner ces changements, le gouvernement collabore avec l’organisation non gouvernementale (ONG) américaine Educate !, également présente en Ouganda et au Kenya. En trois ans, elle a formé environ 1 200 professeurs, dans plus de 350 établissements, à sa pédagogie qui place l’élève au centre de l’enseignement. « Nous voulons que les élèves développent des compétences adaptées au XXIe siècle grâce à des cours basés sur la pratique et l’expression orale », explique Donnalee Donaldson, directrice d’Educate ! au Rwanda. L’ONG valorise particulièrement le développement de « compétences relationnelles » telles que le travail en équipe, le leadership et la prise de parole en public.
Aujourd’hui, les élèves de cette classe de niveau « standard 5 », l’équivalent de la première au lycée, planchent sur des budgets prévisionnels pour améliorer des produits qu’ils ont créés et vendus depuis le début de l’année : des beignets, du savon liquide ou encore de l’artisanat confectionné en autonomie lors de plages horaires dédiées, le vendredi soir. Les groupes de travail, appelés « les investisseurs », « ceux qui visent haut » ou encore « les gagnants », ont vingt minutes de réflexion avant de venir présenter leur budget au tableau. Car ici, les cours magistraux n’ont plus la cote. « J’encourage les élèves à être créatifs et à développer leur esprit critique, explique le professeur Elias Hagenimana. Avant je ne faisais que parler, aujourd’hui ce sont eux qui parlent plus que moi ! »
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Alors que le chômage des jeunes tourne autour de 18 %, selon les données du gouvernement, Educate ! souhaite avant tout aider les élèves à améliorer leurs conditions de vie directement à la sortie de l’école secondaire. « Aux Etats-Unis, la plupart des étudiants ont la possibilité de contracter des prêts pour passer dans l’enseignement supérieur. Au Rwanda, ce n’est pas le cas », rappelle Donnalee Donaldson. Selon l’Unesco, moins de 7 % des élèves rwandais entrent à l’université. Les jeunes sont donc encouragés à économiser leur argent de poche et à créer l’équivalent de petites entreprises à l’école au sein de « business clubs ». « Ils doivent être capables d’appliquer ce qu’ils ont appris dans le monde réel afin d’être autosuffisants et de créer leurs propres opportunités », renchérit Florian Rutiyomba, spécialiste de l’entrepreneuriat au sein du Rwanda Education Board.
Champignons et salon de coiffure
Le lycée de Rwamagana a déjà changé de visage au gré des projets – parfois un peu fou – des élèves. Il a fallu par exemple aménager un coin du potager de l’établissement pour la culture des champignons de Samuel Iradukunda. « Ils poussent facilement et très vite, peuvent être cueillis et vendus rapidement. Je me suis dit que cela peut être une solution aux problèmes de malnutrition que nous connaissons dans le pays », explique le lycéen en présentant des boîtes de champignons entiers ou en poudre prêtes à la vente. Aujourd’hui, 25 camarades ont rejoint le projet de Samuel et l’aident à faire pousser et commercialiser son produit à l’école et dans les villages alentour. « Même s’il y a eu des moments difficiles, je n’abandonnerai jamais. Je veux développer cette idée à plus grande échelle », conclut-il.
En 2019, les différents projets nés dans les « business clubs » de l’école ont généré environ 200 euros de bénéfices, réinvestis dans la construction d’un nouveau salon de coiffure tenu par les élèves. Trois ans après l’arrivée d’Educate ! au Rwanda, il est trop tôt pour évaluer les résultats de cette nouvelle pédagogie sur le marché du travail. Mais l’ONG, implantée depuis dix ans en Ouganda, assure y avoir enregistré un impact positif sur les compétences relationnelles des anciens élèves, l’achèvement de leur parcours éducatif et les relations hommes-femmes.
Sommaire de la série « L’école africaine réinventée »
En matière scolaire, l’Afrique a beau avoir fait des progrès conséquents, elle reste à la traîne. D’Alger au Cap, l’élève lambda continue de s’entasser dans des classes surpeuplées et apprend comme il peut dans un système peu enclin à l’efficacité, encadré par des enseignants mal formés et peu rémunérés. Pourtant, en Ethiopie, au Rwanda, en Afrique du Sud, à Madagascar, au Mali ou en Côte d’Ivoire, des innovations éducatives sont testées auprès des jeunes Africains avant d’être développées plus massivement. Voyage en six épisodes au cœur de systèmes qui tentent de se réinventer.
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