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Au Burkina Faso, des civils armés pour lutter contre le terrorisme

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Au Burkina Faso, des civils armés pour lutter contre le terrorisme
Face à la multiplication des attaques, l’Assemblée nationale a adopté une loi permettant le recrutement de « volontaires pour la défense de la patrie ».


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Des civils armés peuvent-ils riposter face aux terroristes ? Pour le gouvernement et les députés burkinabés, oui. Le 21 janvier, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une loi permettant le recrutement de « volontaires pour la défense de la patrie ». Objectif : former et armer la population, dans certaines localités, pour lutter contre le terrorisme au Burkina Faso, où les massacres de civils ne cessent de se multiplier depuis 2015. En un mois, une centaine de personnes ont été tuées.

Sur le terrain, les forces de défense et de sécurité, sous-équipées, mal formées et trop peu nombreuses, semblent incapables d’enrayer le cycle des violences. Et à dix mois de la présidentielle, le temps presse. « Seule une mobilisation générale des fils et filles de la nation, sans considération de région, d’ethnie, d’opinion politique et de confession religieuse, est à même de vaincre ces meurtriers », soutient le président Roch Marc Christian Kaboré, qui, selon nos informations, mûrissait ce projet de « défense populaire » depuis près d’un an, avant d’en faire l’annonce officielle à la télévision nationale, le 7 novembre, après une attaque d’envergure contre un convoi minier dans l’est du pays.

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Selon la loi promulguée le 29 janvier, ces volontaires, dont l’âge minimum est fixé à 18 ans, seront recrutés dans leur secteur de résidence, après approbation des populations locales en assemblée générale, et placés sous la tutelle du ministère de la défense nationale. Leur mission sera de « contribuer, au besoin par la force des armes, à la défense et à la protection des personnes et des biens de [leur] village ou de [leur] secteur de résidence », précise le texte. Et, si nécessaire, « jusqu’au sacrifice suprême ».

Risques de représailles

Concrètement, ces habitants effectueront des missions de surveillance dans leur zone, collecteront des informations et pourront riposter en cas d’attaque. Des sortes de « vigies rurales » qui seront dotées d’un « équipement spécifique » composé d’« armes légères, d’épaule ou de poing » et de « moyens de communication et d’observation tels que des jumelles », explique le gouvernement. Chaque volontaire bénéficiera d’un « appui financier de l’Etat » et d’une « formation initiale de quatorze jours », axée notamment sur l’armement, les tactiques de base et le respect des droits humains. Pour « éviter les dérives », chaque recrue fera l’objet d’une « enquête de moralité » et sera tenue à un « code de conduite strict », tient à rassurer le gouvernement.

En coulisses, on dit vouloir s’inspirer des « patriotes » lancés dans les années 1990 en Algérie pour lutter contre les islamistes armés ou encore des fameux comités de défense de la révolution, de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara (1983-1987), au sein desquels des militants armés étaient chargés d’assurer la sécurité de leur quartier. Les autorités burkinabées auraient déjà reçu « de nombreuses candidatures spontanées », assure une source officielle. « Nos militaires n’y arrivent pas, [l’opération française] “Barkhane” non plus, on ne peut compter que sur nous-même maintenant pour sauver le pays ! », clame un Ouagalais qui se dit prêt à s’engager.

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Mais sur le terrain, le rapport de forces est risqué. « Comment des civils à peine formés et armés pourront-ils se défendre face à des groupes très organisés, bien équipés et déterminés à mourir ? Ce sera de la chair à canon et ils exposeront leur village à des risques de représailles », s’alarme une source sécuritaire. Selon nos informations, des « volontaires » auraient d’ailleurs déjà riposté, début février, après une attaque à Pobé-Mengao, dans le nord du pays. Une dizaine de personnes auraient été tuées. Le ministère de la défense, qui préfère rester discret sur le dossier « pour ne pas exposer les futurs volontaires », dément cette information.

L’engrenage de la vengeance

Dans ce contexte, l’initiative gouvernementale suscite de nombreuses interrogations. Alors qu’on assiste à une dangereuse escalade de représailles entre communautés échaudées par les attaques des groupes armés, ne risque-t-elle pas de mettre de l’huile sur le feu ? « En sous-traitant la défense des villages à leurs habitants, on risque d’exacerber les tensions entre ethnies et de voir les exécutions sommaires se multiplier, d’autant que les forces de sécurité sont elles-mêmes impliquées dans des cas d’exactions présumées contre des suspects », pointe Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest de l’ONG Human Rights Watch.

Depuis le massacre de Yirgou (Centre-Nord), le 1er janvier 2019, où plusieurs dizaines de Peuls avaient été tués par des habitants voisins les accusant de complicité avec les terroristes, l’engrenage de la vengeance est déjà bien enclenché. Certains villageois, mais aussi des membres des koglweogo, un groupe d’autodéfense local, n’ont pas attendu l’Etat pour se faire justice. « On doit bien se défendre, l’armée a besoin d’aide. On a déjà tué une cinquantaine de terroristes, la plupart étaient des Peuls », assume un chef koglweogo de la région, affirmant mener « des opérations de ratissage depuis quatre mois déjà ».

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Comme ces « justiciers de la brousse », le politologue Thomas Ouedraogo craint que les futurs groupes de volontaires armés ne constituent des « forces concurrentielles à l’Etat ». « Les autorités auront-elles les moyens de les contrôler ? Et une fois que nous n’aurons plus besoin d’eux, pourra-t-on les démobiliser ? En cette année électorale, ils risquent aussi d’être instrumentalisés à des fins politiques », souligne le chercheur. Autant d’interrogations qui, à quelques mois des élections présidentielle et législatives prévues le 22 novembre, méritent d’être éclaircies.  


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