Le 22 février, les Algériens marqueront le premier anniversaire du Hirak, ce mouvement de contestation inédit dans le pays, qui s’est levé contre la candidature à un cinquième mandat du président déchu Abdelaziz Bouteflika. Retour sur ces évènements avec Khaled Drareni, journaliste indépendant et l’une des figures du mouvement.
Le 22 février, les Algériens marqueront le 1er anniversaire du Hirak, mouvement populaire inédit de contestation du pouvoir en place dans le pays, qui a poussé vers la sortie, le 2 avril, l’ancien président Abdelaziz Bouteflika.
Depuis près d’un an, les manifestations hebdomadaires, organisées tous les vendredis, continuent d'exiger la fin du "système" et le départ de ses représentants. L’élection d’Abdelmadjid Tebboune, vainqueur de la présidentielle du 12 décembre, lors d'un scrutin imposé par l’armée et boycotté par la majorité des Algériens, et la formation d’un nouveau gouvernement n’ont pas changé la donne.
Les manifestants restent mobilisés et appellent à "une période de transition" devant aboutir à un changement de régime.
Pour dresser le bilan du Hirak, France 24 a interrogé Khaled Drareni, journaliste indépendant, observateur de la première heure de la contestation et l’une des figures du mouvement populaire.
France 24 : Quel regard portez-vous sur le Hirak, près d’un an après le début de ce mouvement qui a provoqué la chute de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika ?
Khaled Drareni : Je regarde ce mouvement avec optimisme, car après un an de mobilisation exceptionnelle, il a montré à quel point le peuple algérien pouvait être solidaire, conscient, pacifique et totalement engagé. Maintenant le plus dur reste à faire, parce que la revendication principale était et reste le départ du système qui gouverne l’Algérie. Or il est loin d’être parti, puisque le système s’est renforcé et s’est même régénéré à travers le président Abdelmadjid Tebboune et son gouvernement. La contestation s’est opposée à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, mais dans les faits, nous sommes dans un cinquième mandat déguisé, une sorte de quatrième mandat bis, avec Abdelmajid Tebboune, ancien Premier ministre et proche de Bouteflika, et des membres du gouvernement qui, pour beaucoup, sont des figures connues pour être proches du système.
Certains observateurs estiment que le mouvement s’est essoufflé. Pensez-vous qu’un tel objectif soit encore possible à atteindre ?
Un an de mobilisation ne veut pas dire que ce mouvement est mort, bien au contraire, il reste intact et va se poursuivre avec de nouveaux défis à relever et de nouveaux objectifs à atteindre. La marche du peuple algérien qui a commencé le 22 février 2019 ne peut pas s’arrêter à mi-chemin, ce n’est pas possible. Je pense que les Algériens ont déjà gagné, et que le système a déjà perdu, c’est juste une question de temps. Cela fait un an que le mouvement a commencé, certains diront que cela est très court, d’autres diront que c’est très long, mais ce qui est certain, c’est que l’on ne peut pas faire tomber un vieux système qui a plus de 50 ans en quelques jours, en quelques mois, voire même en quelques années. Le chemin reste encore long, nous avons déjà obtenu beaucoup de choses, mais il reste beaucoup d’autres choses à conquérir. Je pense notamment aux demandes de la population réclamant plus de justice sociale, la garantie des libertés et une démocratie réelle. La liberté d’expression et celle de la presse ont régressé ces derniers temps, ce qui démontre que le chemin est encore long devant nous.
Le président Abdelmajid Tebboune affirme avoir tendu la main et promis de répondre aux revendications du Hirak. Qu’en pensez-vous ?
C’est une fausse main tendue. Les Algériens ne sont pas dupes et savent que le pouvoir est contre le Hirak, même s’il passe son temps à le glorifier. Abdelmajid Tebboune sait qu’il est issu d’une élection illégitime et sans doute la plus rejetée depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962. On le voit chaque vendredi, nous sommes encore loin de toute ouverture démocratique, et le but du pouvoir est de tuer et de museler ce mouvement. Il suffit d’observer l’ampleur de la mobilisation policière et la répression qui cherche à empêcher les manifestants de défiler le matin, qui réduit les espaces de manifestations dans la rue, et qui interdit l’accès aux places publiques.
Le Hirak pourrait-il prendre une autre forme ? Doit-il se doter de représentants et se transformer en parti politique ?
La force de ce mouvement c’est qu’il n’a justement pas de représentant. C’est un avantage mais une faiblesse à la fois. D’autre part, une grande partie des Algériens sont opposés aux partis politiques, parce qu’ils ont vu ce que les partis, qu’ils soient de pouvoir ou d’opposition, ont fait durant ces cinquante dernières années. De mon côté, je pense que le Hirak doit se cristalliser autour de revendications politiques, et avoir une vision de l’avenir. Le 20 février, à Alger, doit se tenir une conférence nationale. Elle réunira non pas des représentants, mais des acteurs du Hirak issus de la société civile, comme des avocats, des journalistes, des militants, des universitaires, qui ont participé au mouvement depuis les premiers jours. Venant de plusieurs régions du pays, ils vont se réunir, non par pour parler au nom du mouvement, mais pour discuter et dire comment ils voient l’avenir. Il faut absolument que cette mobilisation historique, aussi spontanée qu’inattendue, se poursuive de la même manière qu’elle a commencé, c’est-à-dire d’une manière totalement pacifique. Espérons qu’elle puisse réaliser un jour les rêves de tous les Algériens, à savoir ceux d’une Algérie libre et démocratique.
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